Le cabinet Geneste & Devolder Avocats a rédigé une note présentant deux arrêts récents du Conseil d’État. Juge ultime des activités des administrations, le Conseil d’État assure l’unité de la jurisprudence administrative. En tant que juge de premier et de dernier ressort, il est compétent pour juger les requêtes formées notamment contre les actes réglementaires ; par exemple, dans le domaine des produits de santé, les décisions d’inscription des médicaments sur la « liste en sus ».
Ainsi, par deux décisions des 21 octobre et 22 novembre 2019[1], le Conseil d’État a apporté d’intéressantes précisions sur l’appréciation de l’intérêt de santé publique (« ISP ») et le choix du comparateur pertinent en cas de demande d’inscription sur la « liste en sus ».
Pour mémoire, l’inscription d’un médicament sur la « liste en sus » est subordonnée au respect de quatre critères posés par l’article R. 162-37-2 du code de la sécurité sociale (« CSS »). Le schéma suivant synthétise l’évaluation du troisième critère[2] :
C’est sur ce critère que portent les arrêts rendus les 21 octobre et 22 novembre 2019. Dans ces affaires, les ministres avaient refusé l’inscription sur la « liste en sus » de spécialités, exploitées respectivement par TAKEDA et PFIZER, pour lesquelles la commission de la transparence (CT) avait conclu à une ASMR IV.
Affaire TAKEDA : précisions sur l’ISP
TAKEDA ne conteste ni l’ANSM IV ni l’absence de comparateur pertinent. Elle soutient en revanche que, contrairement à ce qu’a jugé la CT, l’indication considérée présente un ISP.
La CT avait considéré que l’indication en cause ne présentait pas d’ISP aux motifs que (i) la spécialité n’a pas d’impact sur la mortalité et la morbidité des patients concernés, (ii) elle a un impact potentiellement négatif sur la qualité de vie des patients et (iii) le nombre de patients concerné est faible (110 par an).
Le Conseil d’État juge, au vu des pièces du dossier, que les deux premiers motifs sont entachés d’erreur manifeste d’appréciation.
C’est sur le troisième motif que l’arrêt apporte une précision intéressante : si la prévalence d’une maladie peut être prise en considération dans l’appréciation de l’ISP, le faible nombre de patients ne peut, à lui seul, justifier qu’un tel intérêt lui soit dénié.
En conséquence, le Conseil d’État et annule la décision par laquelle les ministres ont refusé d’inscrire la spécialité en cause sur la « liste en sus » et ordonne le réexamen du dossier.
Affaire PFIZER : précisions sur le choix du comparateur pertinent
PFIZER ne conteste pas le niveau d’ASMR mais soutient que, contrairement à ce qu’a jugé la CT, il n’existe pas de comparateur pertinent.
La problématique est la suivante : des médicaments à large spectre antibactérien qui ne constituent pas un traitement satisfaisant des infections dues à des bactéries à Gram négatif mais sont néanmoins utilisés dans ce cadre constituent-ils des comparateurs pertinents ?
Il ressort de la décision du Conseil d’État que des antibiotiques utilisés dans le traitement de la même infection que la spécialité évaluée constituent des comparateurs pertinents, quand bien même la CT aurait reconnu l’existence d’un besoin important de nouveaux antibiotiques pour le traitement de ladite infection, auquel les médicaments disponibles ne répondent pas de façon satisfaisante.
En conséquence, le Conseil d’État rejette le recours du laboratoire.
Au total, un débat très technique donc, illustratif des difficultés qui sont celles des laboratoires à remettre en cause les appréciations de la CT que, dans la quasi-totalité des cas de figure, les ministres s’approprient. Des arrêts qui donc, une fois de plus, illustrent le rôle central qui est celui de l’audition dans le processus de formation de l’avis de la CT. Il serait temps de porter à 15 à 30 minutes la durée de cette audition !
Plus d’informations sur la procédure d’inscription et de radiation de la liste en sus dans cette notice d’information du ministère des Solidarités et de la Santé.
[1] CE, 21 octobre 2019, Takeda France, req. 419169 et 22 novembre 2019, Pfizer PFE France, req. 420023.
[2] En application de ce critère, le niveau d’amélioration du service médical rendu de la spécialité dans la ou les indications considérées, apprécié au regard des critères mentionnés au II de l’article R. 162-37-3 est majeur, important ou modéré. Il peut être mineur si l’indication considérée présente un intérêt de santé publique et en l’absence de comparateur pertinent. Il peut être mineur ou absent lorsque les comparateurs pertinents sont déjà inscrits sur la liste.
> Contacts :
Bernard GENESTE, Avocat à la Cour – Geneste & Devulder Avocats – Tél: +33 1 88 33 47 86 – E-mail: bernard.geneste@gd-associes.com
Marine DEVULDER, Avocat à la Cour – Geneste & Devulder Avocats – Tél: +33 1 88 33 47 85 – E-mail: marine.devulder@gd-associes.com