Des produits non-conformes contenant des ingrédients traités illégalement à l’oxyde d’éthylène – un désinfectant cancérogène, mutagène et reprotoxique interdit en Europe – pourraient continuer d’être vendus sans que les consommateurs n’en soient informés, révèle foodwatch. Alors que la France applique le principe de précaution qui a mené au retrait-rappel de plus de 6.200 références depuis septembre 2020 – du sésame aux glaces en passant par le poivre, gingembre, échalotes, café, etc. -, cela n’est pas le cas de tous les Etats membres ; certains n’ayant pas du tout rappelé les produits.
C’est le chaos à l’échelle européenne. Une réunion tenue ce mardi 29 juin à la Commission devait tenter d’harmoniser les réponses à ce nouveau scandale alimentaire. D’après plusieurs documents que foodwatch a pu consulter, la Commission et les Etats membres envisagent sérieusement un assouplissement des rappels en laissant s’écouler sur le marché européen des produits traités illégalement à l’oxyde d’éthylène, mais pour lesquels les opérateurs n’ont pas pu mesurer cette contamination lorsqu’elle est en-dessous du seuil détectable (0,02mg/kg, pour les produits fabriqués avant le 14 juin 2021).
Pour foodwatch, ce prétexte est inacceptable. L’organisation a d’ailleurs interpellé hier par courrier la Commission européenne et Bercy. Car les aliments dont la traçabilité montre qu’ils ont été traités par cette substance illégale violent clairement la réglementation européenne sur la sécurité sanitaire (UE 178/2002). Cette possibilité de ne pas rappeler les produits potentiellement concernés a d’ores et déjà été communiquée par Bercy aux opérateurs. Et ce n’est malheureusement pas tout : la farine de caroube et la gomme de guar, concernées par cette contamination, sont utilisées comme épaississants dans de nombreux laits infantiles anti-régurgitation.
La vérification des fournisseurs chez les fabricants serait en cours. foodwatch demande une information transparente et rapide à l’attention des consommateurs et le rappel de tout produit dont la traçabilité montrerait qu’il est concerné.
L’organisation européenne de défense des consommateurs, foodwatch, est plus que jamais dans son rôle de « watchdog » (chien de garde). Elle révèle aujourd’hui que les discussions à Bruxelles pour harmoniser la gestion de la crise de l’oxyde d’éthylène risquent de créer un dangereux précédent. Comme certains pays européens n’ont pas procédé aux retraits et rappels des aliments contenant un ingrédient traité à l’oxyde d’éthylène, une substance pourtant interdite, la Commission européenne et les Etats membres s’apprêteraient à adopter le plus petit dénominateur commun et à considérer qu’il est finalement acceptable que ces produits non-conformes continuent à être commercialisés dans l’UE.
Pour foodwatch, ces produits non-conformes violent clairement les articles 11 et 14 sur la sécurité des denrées alimentaires du règlement européen 178/2002. L’organisation l’a fait savoir dans deux courriers envoyés lundi 28 juin à la Commission européenne et à Bercy.
Les inspecteurs de la Répression des fraudes très mobilisés depuis plusieurs mois sur le terrain n’y comprennent plus rien : « Comment peut-on classer une substance comme dangereuse (cancérogène, mutagène et reprotoxique) et donc l’interdire dans l’Union européenne et ‘en même temps’ tolérer sa présence dans certains produits intégrant des ingrédients contaminés venant de pays tiers », s’interroge Solidaires CCRF & SCL, le syndicat majoritaire au sein de la CCRF dans un communiqué. Et Solidaires de souligner : « Hasard ou coïncidence, cela fait bien les affaires de l’industrie agro-alimentaire et de certains lobbies ».
Les non-conformités semblent être apparues sur le marché depuis au moins 2019. Mais les autorités reconnaissent qu’il est impossible de dater le début de toute cette affaire. Pour foodwatch : « L’exposition globale de la population aux molécules d’oxyde d’éthylène est donc probablement plus élevée que ce que l’on pensait. Pourtant, il n’existe pas aujourd’hui d’évaluation d’un éventuel effet cumulatif. Pourquoi ? », questionne Ingrid Kragl, directrice de l’information de foodwatch.
En France, des fabricants n’hésitent pas à minimiser les risques pour la santé alors qu’on parle bien d’une substance cancérogène, mutagène et reprotoxique qui, selon l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), présente des risques pour la santé sans seuil de dose : « Même de très faibles niveaux d’exposition sont associés à un excès de risque de cancer ».
« Scandale après scandale, rappelle foodwatch, on voit les opérateurs échapper à leurs responsabilités et à toute sanction. C’était le cas pour la viande de cheval, le fipronil. Aujourd’hui encore avec l’oxyde d’éthylène, la question de la responsabilité des fabricants, importateurs, distributeurs est totalement éludée dans cette affaire qui a éclaté en septembre 2020 avec l’alerte de la Belgique et qui concerne maintenant des dizaines de pays ».
Ce n’est malheureusement pas tout. Après le rappel de milliers de références de produits à base de sésame puis de glaces contenant de la farine de caroube ou de la gomme de guar contaminées par de l’oxyde d’éthylène, interdit en Europe, foodwatch alerte sur la présence de farine de caroube dans plusieurs laits infantiles anti-régurgitation (AR) 1er âge et 2e âge. foodwatch cite la Répression des fraudes qui admet : « Une attention particulière devra être portée aux lots de farine de caroube ou de guar destinés aux RPMM (responsables de la première mise sur le marché, ndr) de produits anti-régurgitation (en particulier laits infantiles), dans la mesure où ces matières premières sont utilisées comme épaississants dans ces produits. Une sensibilisation devra être opérée auprès de ces fabricants et il leur sera demandé la communication des noms et coordonnées de leur fournisseur de farine de caroube ou de guar ».
foodwatch exige de la part des autorités une communication rapide et totalement transparente.
Contact : Ingrid Kragl – ingrid.kragl@foodwatch.fr