Confrontées au cas d’un jeune patient que seul un médicament n’étant plus fabriqué pouvait sauver, les équipes des HCL sont parvenues, au prix d’une implication et d’une solidarité exceptionnelles, à recréer ce remède miracle. Depuis l’été dernier, ce médicament fabriqué à l’hôpital Edouard Herriot a permis de guérir 26 autres patients issus de la France entière. Cependant, le stock de matière active s’amenuise et le CHU est aujourd’hui à la recherche de soutiens pour pérenniser la production de cette préparation médicale indispensable pour préserver des vies.
Engager toutes ses ressources, en soin, recherche et enseignement pour tous ses patients constitue l’une des grandes forces d’un CHU. En se mobilisant de manière spectaculaire au bénéfice d’un jeune patient greffé, les Hospices Civils de Lyon l’ont une fois encore prouvé, avec pas moins de trois établissements, plusieurs services et des dizaines de professionnels impliqués. Tout a commencé à l’automne 2020, dans le service d’hépatologie, gastroentérologie et nutrition pédiatriques de l’hôpital Femme Mère Enfant. Le Dr Noémie Laverdure est confrontée aux souffrances de Raphaël, quinze ans, greffé du foie le 30 juin 2020, qui présente des troubles du transit à répétition. La pédiatre pense à une infection rare, dont les symptômes sont rendus plus aigus par un système immunitaire affaibli pour prévenir le rejet de la greffe.
Pour affiner son avis, elle sollicite l’Institut des agents infectieux de l’hôpital de la Croix-Rousse. Le docteur Meja Rabodonirina, biologiste spécialisée en parasitologie et mycologie, met alors en évidence la présence d’Enterocytozoon bieneusi dans l’échantillon biologique du patient. Ce champignon, de la famille des microsporidies, provoque des diarrhées sévères pouvant engager le pronostic vital chez les patients immunodéprimés comme Raphaël. Seule la fumagilline, un antiparasitaire utilisé depuis les années 1950, peut en venir à bout.
La fumagilline, un médicament dont la production a cessé en 2019
Immédiatement, la biologiste prend conscience de la gravité de la situation. Il y a vingt-cinq ans, elle avait participé à une étude montrant que la fumagilline, seul remède disponible au monde, fonctionnait chez les patients immunodéprimés atteints par le VIH. Elle se tourne donc vers la pharmacie centrale des HCL. Mais celle-ci l’informe, avec stupeur, que les derniers stocks de fumagilline ont été écoulés en mars 2020, la production de ce médicament ayant cessé en 2019. « Je n’en ai pas dormi de la nuit, confie le Dr Rabodonirina. Mon cœur de mère ne pouvait se résoudre à laisser mourir ce garçon…».
Entre temps, le Dr Laverdure a prescrit un traitement suspensif qui stoppe les diarrhées sans toutefois éliminer le parasite qui en est à l’origine. Problème : sur le long terme, ce traitement n’est pas tenable. Déterminées à trouver une solution, le Dr Rabodonirina et elle-même reçoivent le soutien du professeur Philippe Poirier, responsable du Centre national de référence des microsporidioses, au CHU de Clermont-Ferrand.
Au sein du pavillon X de l’hôpital Edouard Herriot, les pharmaciens de Fripharm (Fabrication recherche innovation pharmaceutique), sous l’autorité du Pr Fabrice Pirot, sont, eux aussi, bouleversés par le sort de Raphaël. « Nous ne pouvions pas laisser dépérir un garçon qui a toute sa vie devant lui », relate Samira Filali, responsable de production à l’époque.
Un stock de matière active trouvé en Hongrie
Après avoir contacté des fournisseurs chinois, indiens et européens, cette dernière, aidée de Camille Merienne, responsable du laboratoire de contrôle, parviennent à obtenir une précieuse information : 300 grammes de matière active servant à produire la fumagilline sont disponibles en Hongrie. Non sans mal, grâce à des intervenants bienveillants, la substance est rapatriée depuis l’Europe de l’Est jusqu’à Lyon, conservée à -80°C pendant le transport, la molécule du principe actif étant très instable, sensible aux variations de température et à la lumière.
À sa réception, les pharmaciens des HCL vont déployer toute leur expertise pour fabriquer un médicament personnalisé sous la forme d’une suspension buvable conditionnée dans un flacon en verre. En août 2021, un an après les premiers symptômes, l’adolescent est enfin traité. Quinze jours plus tard, c’en est fini de ses diarrhées éprouvantes et délétères. « On s’est bien battus, se félicite aujourd’hui Noémie Laverdure. On a avancé une étape après l’autre, sans renoncer. » Ce travail d’équipe a ensuite bénéficié à d’autres malades, telle cette patiente qui avait perdu 20 kilos en un an et a pu être guérie après de longs mois de souffrances.
Un million d’euros recherché pour poursuivre la fabrication
Aujourd’hui, Fripharm est la seule plateforme pharmaceutique hospitalo-universitaire à produire ce médicament. Au total, en un an, 27 patients – de Lyon, mais aussi de Paris, Grenoble, Clermont-Ferrand, Rennes, Nantes et Bordeaux – ont reçu des doses personnalisées, permettant leur guérison complète. Récemment, Fripharm a même été contacté par un hôpital aux Pays-Bas, qui sera bientôt livré grâce à l’accord de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes.
Cependant, l’avenir s’annonce plus incertain. Les 300 grammes de principe actif récupérés en Hongrie sont voués à disparaitre. Or, il n’est plus question pour les professionnels des HCL de renoncer à ce médicament et à l’espoir redonné à la centaine de malades atteints, chaque année, en France, par des microsporidies. Ces dernières semaines, l’équipe de Fripharm s’est mise en quête d’une start-up capable de l’accompagner dans la fabrication de fumagilline. L’affaire semble en bonne voie, mais le coût de lancement de la production, évalué à près d’un million d’euros, ne pourra être financé que par une aide extérieure.
« La fumagilline que nous avons réussi à recréer au sein des HCL revêt une importance cruciale. Sans ce remède, les patients immunodéprimés, dont l’ensemble des patients greffés, victimes de microsporidies n’ont presque aucune chance de s’en sortir. Il faut trouver une solution par tous les moyens, que ce soit auprès des autorités publiques ou du secteur privé. Il est impensable de ne pas sauver des patients alors que nous savons comment faire », conclut le Dr Meja Rabodonirina, persuadée que des bienfaiteurs répondront rapidement à l’appel.
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