Face à la transition démographique et épidémiologique, des réformes sont engagées pour diminuer le poids de la tarification à l’acte, jugée inadaptée à une bonne coordination des parcours, en particulier dans la prise en charge des patients en affection de longue durée. Pour la 2e année consécutive, la société de conseil Proxicare décrypte les financements innovants mis en place dans le cadre d’expérimentations en santé autorisées par les pouvoirs publics. Cette nouvelle édition vient également éclairer les implications opérationnelles des changements associés à ces nouvelles modalités de paiement. Le point sur les tendances qui se dégagent en 2022.
Pour construire son Observatoire, Proxicare analyse l’ensemble des données existantes dans les cahiers des charges des projets d’expérimentation incluant des modes de rémunérations innovants (Article 51, ETAPES…), publiés au Journal officiel. L’Observatoire 2022 intègre 30 nouvelles expérimentations, qui viennent porter le total à 114 expérimentations en cours en juin 2022. L’édition est complétée par une analyse qualitative,menée auprès de huit porteurs de projets, avec pour objectif de mettre en évidence les implications opérationnelles de ces nouveaux modes de paiement.
L’exercice coordonné, Graal des organisations de soins
Selon l’Observatoire 2022, 70 % des projets innovants financent la coordination entre professionnels de santé ou l’exercice coordonné.
« La coordination des soins et du parcours de santé est le graal des organisations de soins performantes, note Véronique Lacam-Denoël, fondatrice de Proxicare. Ce travail en transversalité pour structurer la prise en charge, dans une logique de parcours intégré, doit aider à faire face aux transitions épidémiologiques et démographiques (développement des maladies chroniques, vieillissement de la population…). »
39 % de ces coordinations sont dites « renforcées » et mobilisent plusieurs professionnels de santé autour de patients ayant une ou des pathologie(s) chronique(s) à risques et/ou des fragilités spécifiques. 24 % de ces coordinations reposent sur un appui externe à l’équipe de prise en charge pour les patients en situation complexe. 8 % d’entre elles sont dites « usuelles » et rémunèrent une coordination assurée directement par le médecin traitantlui-même et son patient. Enfin, 29 % des coordinations requièrent une coordination renforcée ainsi qu’un appui externe.
De nouvelles prestations pour faire face à des pathologies croissantes
Afin de répondre à ces nouveaux besoins, 55% des expérimentations ciblent une pathologie chronique (diabète, maladies cardio-vasculaires, maladies rénales ou respiratoires) ou liées au vieillissement (dépendance, dénutrition, pathologies bucco-dentaires, iatrogénie). C’est 3% de plus que l’année passée.
A noter : la santé mentale concerne 10 % des expérimentations (et même 13 % si on ne prend en compte que les 30 nouveaux projets). « Pour faire face à des pathologies sans cesse plus prégnantes dans la population, les parcours de soins et les financements innovants sont plus que jamais nécessaires », analyse Véronique Lacam-Denoël.
74 des 114 expérimentations intègrent la prise en charge de nouvelles prestations (c’est-à-dire non remboursées par l’Assurance Maladie dans le droit commun), soit 65 % au total (versus 54 % en 2021). 35 d’entre elles rémunèrent les psychologues, 26 rémunèrent les diététiciens et 22 rémunèrent des séances d’activité physique adaptée (APA).
« Les interventions de ces professionnels se sont nettement renforcées en 2022, observe Véronique Lacam-Denoël. Cela marque le passage d’un système de santé curatif à un système qui remet la prévention au cœur de la prise en charge. Au-delà du discours sur le besoin de prévention, les acteurs de santé soulignent que cela doit s’accompagner de gestes concrets comme le financement de nouveaux types d’actes et de prestations. »
Des budgets moyens en hausse de 7,5%
Dans le cadre de ces expérimentations, l’enveloppe moyenne dévolue au financement des soins est passée de 4 millions à 4,3 millions d’euros par projet, soit une hausse de 7,5 %. Mais les dix projets les plus dotés représentent plus de 230 millions d’euros !
On y retrouve notamment les expérimentations ministérielles IPEP (incitation à la prise en charge partagée) et EDS (épisodes de soins), mais aussi les nouveaux projets COCON (parcours de soins précoces et coordonnés du nouveau-né vulnérable) et Structures d’exercice coordonné participatives. « Au total, les pouvoirs publics consacrent 495 millions d’euros à ces expérimentations, ce qui démontre leur volontarisme en la matière », souligne Véronique Lacam-Denoël.
L’importance des dispositifs médicaux et outils numériques de santé
22 % des expérimentations incluent un ou plusieurs dispositifs médicaux (DM), un pourcentage stable par rapport à 2021. Parmi ces DM, 90 % sont des dispositifs de télésurveillance et/ou d’automesure.
Les forfaits, alternative à la rémunération à l’acte
Les nouveaux modes de rémunération expérimentés en vue d’une intégration éventuelle dans le droit commun prennent le plus souvent la forme de forfaits (111 expérimentations sur 114). Deux catégories de forfaits sont distinguées : les forfaits par patients, « facturables » par bénéficiaire inclus dans un parcours de soins ; les forfaits par population, qui consistent à allouer un montant global pour répondre aux besoins et aux objectifs définis pour une population donnée.
Au total, parmi les 111 expérimentations s’appuyant sur ces forfaits, 87 % proposent des rémunérations par patient et 13 % pour une patientèle. « Les rémunérations forfaitaires se développent, en particulier celles par patient qui gagnent 6 points en une année, observe Véronique Lacam-Denoël. Cela montre bien que le parcours de soins est le pivot de ces expérimentations. Les logiques de paiement à la patientèle ont encore à convaincre pour relever le défi de la responsabilité populationnelle, de plus en plus identifiée comme le prochain enjeu clé ».
Des process de facturation à automatiser
Dans le cadre de ces expérimentations, plusieurs projets proposent une rémunération modulée par un système de prime à la qualité et/ou à la performance. Ces primes sont souvent complémentaires à des rémunérations de base. Au total, 18 % des projets engagent un dispositif incluant une part variable basée sur des indicateurs de l’état de santé soit du patient soit d’un groupe de patients (versus 20 % en 2021).
« Là aussi, en France, introduire une part variable dans la rémunération est disruptif dans le secteur de la santé, analyse Véronique Lacam-Denoël. L’évaluation des projets expérimentaux devra permettre de mesurer l’efficacité de ce dispositif ».
Selon les témoignages des porteurs de projet recueillis dans le cadre de l’Observatoire, « la mise en place de ces nouvelles modalités de financement occasionne une véritable transformation opérationnelle d’autant plus qu’elle implique souvent de gérer un double flux de facturation, explique Emilie Delpit, directrice associée de Proxicare. Ce flux devra intégrer la rémunération « à l’acte », mais aussi les rémunérations innovantes, dont les forfaits et les primes versées a posteriori. La pérennisation et le passage dans le droit commun des expérimentations imposeront de réfléchir à la mise en place d’un processus de facturation simplifié et automatisé au maximum. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, ces processus restent manuels, sont chronophages et sources d’erreurs ».
Le défi de la gouvernance du projet
Les porteurs de projet interrogés identifient notamment 3 facteurs clés pour la réussite de ces expérimentations : les outils associés aux nouveaux modes de paiement, la gouvernance du projet en réponse aux besoins de coordination des acteurs et le choix de l’entité qui va porter le projet. « Les nouvelles organisations introduisent des changements profonds des pratiques professionnelles et habitudes de fonctionnement, indique Emilie Delpit. Pour réussir ces projets, il faut veiller à impliquer tous les acteurs concernés (professionnels de santé, médecins traitants aux établissements, mais aussi personnel administratif, équipes techniques, financeurs…).»
Le défi est d’autant plus important à relever lorsque l’Assurance Maladie confie au porteur de projet la responsabilité de redistribuer les forfaits aux professionnels de santé. Ce rôle de « concentrateur de paiement » est particulièrement complexe et suppose que les compétences, ressources et l’outillage dont il dispose soient adaptés, ce qui n’est pas toujours le cas. « L’adoption d’un outillage numérique ergonomique et adapté aux besoins est clé, explique Emilie Delpit. C’est même une condition sine qua non de la généralisation d’une expérimentation. »
« Cette 2e édition de l’Observatoire est publiée à un moment charnière, expliquent Véronique Lacam-Denoël et Emilie Delpit. Alors que le gouvernement nouvellement installé pourrait vouloir accélérer la transformation du système de santé, les 1ers projets d’expérimentation arrivent à leur terme et vont entrer en phase d’évaluation tandis que la question de la généralisation de certains dispositifs se pose déjà. Avec cet Observatoire, nous souhaitons contribuer utilement aux réflexions en cours. »
Contact : constance.baudry@agence-constance.fr