S’il est vrai qu’on mesure le degré de civilisation d’un pays à la place et la considération accordées aux femmes, convenons qu’il reste encore des efforts à faire… et notamment dans le domaine de la santé.
Les femmes sont majoritaires, ou en passe de l’être, dans les professions de santé, elles représentent : 45% des dentistes, 87% des infirmiers, 91% des aides-soignants. Même chose pour les médecins : 48% des médecins généralistes – et 60% des nouveaux inscrits à l’Ordre – sont des femmes. Pourtant, la gouvernance de l’univers syndical et fédéral de la santé semble peu à l’unisson de cette féminisation…
Il faut reconnaitre que chez la plupart, la dynamique paritaire est en marche. Une exigence bienvenue qui – il est toujours bon de le rappeler – n’a rien à voir avec quelque logique de « quota », puisqu’il est ici question de la place de la moitié de l’humanité. Mais davantage de volontarisme s’impose, sous peine d’une faille de légitimité au sein d’organisations dont les revendications ne seraient plus fondées sur une pleine représentativité de leurs membres.
Ces mêmes constats sont du reste transposables à l’organisation hospitalière, et ceci dès le clinicat. Où sont les femmes cheffes de service, présidentes de CME ? Quid des directions d’hôpitaux, et même de l’ensemble de l’administration hospitalière ? Alors qu’on observe une quasi-parité chez les directeurs d’hôpital en activité – 49,7% de femmes pour 50,3% d’hommes, les chefferies restent majoritairement occupées par des hommes, à 75,3%.
Concernant les praticiens hospitaliers, si 52,8 % des praticiens à temps plein et 49,2% des praticiens à temps partiel sont des femmes, les postes de PU-PH restent en revanche très majoritairement occupés par des hommes à 77,8%.
L’incapacité à se projeter dans des organisations conçues en dehors des femmes, engendre chez celles-ci des mécanismes d’autocensure qu’il faut casser. Ce n’est que par des politiques publiques volontaristes qu’on parviendra à briser le plafond de verre en donnant aux futures professionnelles des exemples inspirants à suivre, trop rares aujourd’hui.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, la féminisation d’une profession a longtemps rimé avec dévalorisation, et les clichés ont la vie dure ! Ainsi, réduire l’aspiration à une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle à la seule revendication féminine est évidemment faux : il s’agit en réalité d’une aspiration générationnelle, largement partagée aujourd’hui par les hommes comme par les femmes, mais qu’à l’évidence les progrès de l’égalité femme-homme ont fait émerger.
Pourtant, certaines situations notoires de discrimination perdurent : il est par exemple essentiel de faire évoluer la représentation de la grossesse et de la maternité, qui ne doivent pas être vécues comme un empêchement ou un échec dans une carrière de santé. Les trop rares remplacements des congés maternités engendrent une culpabilisation qui ne doit plus avoir cours.
Dans le même esprit, ce sont plus largement les métiers du care, de l’aide-soignante à l’auxiliaire de puériculture, qui ont longtemps été dépréciés, minorés, et dévalorisés. Dans une vision essentialiste, le soin a longtemps été l’apanage naturel des femmes, qui devaient encore s’estimer heureuses qu’on accepte in fine de les rémunérer – mal – pour ce faire… De Joan Tronto à Fabienne Brugère, les philosophes du care ont très finement analysé cette réalité. Martine Aubry, faisant pour la première fois émerger le concept de care dans l’espace public en France en 2010, s’était vu à l’époque opposer ce titre cinglant d’un célèbre hebdomadaire : « La mémérisation de la France ».
Pas surprenant, dans ce contexte, que ces professions ne bénéficient pas de la reconnaissance qu’elles méritent. Quelques voix, telles que Boris Cyrulnik pointant l’importance fondamentale des professionnel.le.s de la toute petite enfance dans la construction de jeunes êtres en devenir, font évoluer la donne. Sans cela, comment bâtirons-nous la société du soin de demain, comme faire face au vieillissement, à la chronicité des maladies, aux nouveaux besoins en santé ?
Cela passe aussi, dans le même temps, par la montée en mixité de certaines professions du soin : dire aux jeunes garçons d’aujourd’hui qu’ils peuvent s’engager dans ces métiers, c’est aussi bousculer les représentations obsolètes de la masculinité, et faire progresser l’égalité. On ne bâtira pas la société du soin de demain en se privant de la moitié de l’humanité !
Concernant la visibilité des femmes, une étude allemande instructive est sortie récemment : 42% des virologues, épidémiologistes et microbiologistes allemands sont des femmes. Mais lors de la première vague de l’épidémie de Coronavirus, 94% des chercheurs en épidémiologie interviewés étaient… des hommes.
Même topo dans la presse écrite, où les « experts » désignés comme tels étaient des hommes à 93%. Gageons que si nous faisions la même étude en France, nous arriverions à des chiffres similaires. Pas grave, dirons-nous, si l’on considère que le paysage médiatique saturé d’experts autoproclamés a vite agacé des téléspectateurs, et des internautes interrogatifs sur l’assiduité de ces praticiens auprès de leurs patients…
Mais en réalité, le sujet de la place de l’expertise des femmes dans les médias, les colloques, tous les lieux d’expression publique, est fondamental. Il donne aux filles la conviction que tous les champs des possibles leur sont ouverts. Le Collectif « Femmes de Santé » ne s’y est pas trompé, qui réalise un travail de recensement des femmes expertes dans le champ de la santé, pouvant être sollicitées dans des domaines diversifiés de connaissances. Un moyen de dire aux journalistes et aux organisateurs d’événements qu’avec un peu de bonne volonté, il est très facile de féminiser plateaux et tribunes.
De plus, à l’évidence, disons que le mouvement MeToo n’a pas suffisamment franchi les portes des facultés et des hôpitaux. L’enquête de mars 2021 de l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF) est édifiante, voire stupéfiante : un tiers des étudiants en médecine ont déjà été victimes de harcèlement sexuel en stage. Quatre étudiants en médecine sur dix ont reçu des remarques sexistes, et le ratio est quatre fois plus important pour les femmes. Dans neuf cas sur dix, le harcèlement est le fait d’un supérieur hiérarchique. On mesure la détresse, les conséquences de tels agissements sur la santé mentale. La sensibilisation est certes nécessaire, mais convenons que de tels actes ne peuvent, en aucun cas, rester plus longtemps impunis.
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