Dans son Avis 136 de juillet 2021 sur « L’évolution des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin », le CCNE a rappelé le droit fondamental de chaque patient de pouvoir prendre part aux décisions de santé qui le concernent, ainsi que le caractère dynamique et évolutif du consentement qui, fondé sur une relation de confiance réciproque, s’adapte au gré du cheminement de la personne et de ses choix.
Le 4 juillet 2022, compte tenu de l’importance et de la sensibilité particulière des examens touchant à l’intimité physique et psychique, la Première ministre, Madame Elisabeth Borne, a saisi le CCNE afin que celui-ci conduise une réflexion approfondie sur la notion de consentement dans le cadre des examens gynécologiques et touchant à l’intimité.
Cet Avis 142, intitulé « Consentement et respect de la personne dans la pratique des examens gynécologiques ou touchant à l’intimité » analyse les enjeux éthiques relatifs à la pratique des examens gynécologiques et/ou médicaux touchant aux zones uro- génitale et ano-rectale, qui peuvent être vécus par les patient(e)s comme relevant de « l’extrême intime ». Ces examens, pratiqués par différents professionnels de santé, relèvent de démarches de dépistage, de diagnostic ou de suivi ; programmés ou non, ils peuvent avoir lieu dans un cadre clinique et/ou d’enseignement.
Cet Avis intervient dans un contexte particulier, marqué par des plaintes déposées par certain(e)s patient(e)s à l’encontre de praticien(ne)s et par des tensions entre associa- tions de patient(e)s et professionnel(le)s de santé, ce qui a conduit les sociétés sa- vantes à se mobiliser et à rédiger des chartes et des recommandations de bonne pra- tique.
Au terme des trente-trois auditions et de huit mois de travail, le CCNE constate que les conditions dans lesquelles sont réalisés les examens touchant à l’intimité ainsi que les modalités de recueil du consentement dans ce contexte sont actuellement discutées dans plusieurs pays. Il souligne les risques majeurs liés à une altération de la con- fiance entre les patient(e)s et les soignant(e)s : risque d’une perte de chance pour les patient(e)s en cas de renoncement aux soins ; risque d’une désaffection de certaines spécialités médicales sous l’effet d’un opprobre jeté sur l’ensemble des professionnels et d’atteintes ciblées à la réputation sur les réseaux sociaux ; risque d’une évolution des pratiques médicales non conforme aux besoins réels des patient(e)s.
Dans ce contexte, le CCNE insiste sur le besoin d’apaisement, sur la nécessité d’une considération mutuelle des patient(e)s et des soignant(e)s et sur l’indispensable effort de compréhension réciproque s’agissant des des examens touchant à l’intimité : difficulté à les subir d’une part, complexité à les réaliser d’autre part.
Le CCNE souligne la nécessité de bâtir un cadre qui soit respectueux et sécurisant tout à la fois pour les patient(e)s et les soignant(e)s. Ce cadre doit éviter d’une part que les examens touchant à l’intimité ne provoquent chez les patient(e)s un sentiment de brutalisation ou d’effraction, et permettre d’autre part aux soignant(e)s, dans leur très grande majorité soucieux(ses) du bien-être de leurs patient(e)s, de pouvoir exercer sans craindre une mise en cause illégitime de leurs pratiques cliniques.
En premier lieu, le CCNE rappelle, que les examens touchant à l’intimité requièrent une attention redoublée de savoir-être, de précaution et de tact à chaque étape de la consultation. Ils nécessitent une écoute et une considération de ce que les patient(e)s ressentent et expriment, une prise en compte de la pudeur et du besoin d’intimité, et une considération pour la douleur ou l’inconfort que l’examen peut éventuellement occasionner. À cet égard, le CCNE souligne la vigilance à accorder au cadre matériel, temporel et organisationnel de l’examen. Il rappelle aussi que la pertinence des examens doit sans cesse être réinterrogée à la lumière des principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité.
En deuxième lieu, s’agissant du consentement à l’examen, contrairement à ce qui peut se passer dans certains pays, le CCNE ne considère pas qu’il soit pertinent de recueillir le consentement de manière écrite, ni de demander qu’un tiers soit systématiquement présent pendant l’examen. En revanche, le CCNE insiste sur le fait que le consentement ne doit plus être tacite ou présumé, mais être explicite et différencié pour chacun des examens pratiqués durant une consultation. Par ailleurs, les soi- gnant(e)s ou les patient(e)s peuvent, dans certaines circonstances, souhaiter qu’un tiers qu’ils ou elles ont choisi soit présent pendant tout ou partie de la consultation.
Cette possibilité devrait être maintenue, notamment pour les mineur(e)s, en gardant à l’esprit que la présence d’un tiers peut être rassurante mais aussi parfois constituer une interférence dans la relation de soin.
Le CCNE souligne également :
– l’importance de l’information préalable à la recherche du consentement : les patient(e)s devraient comprendre pourquoi on leur propose un examen, les informations que celui-ci va permettre d’obtenir, en quoi il va consister concrètement, s’il est susceptible d’occasionner de la gêne ou de la douleur, et s’il existe d’autres options.
– la nécessité de prendre en compte les réticences et les refus : le refus d’un examen ne devrait jamais entraîner une interruption brutale de la consultation ni une rupture de la relation de soin.
En troisième lieu, le CCNE estime que des précautions supplémentaires sont nécessaires :
– lorsque des élèves ou des étudiants réalisent des examens touchant à l’intimité ou assistent à ces examens,
– et lorsque les patient(e)s sont dans une situation de particulière vulnérabilité : mineur(e)s, personnes en situation de handicap, de détresse psychique, de fragilité cognitive, victimes de violences.
D’une façon générale, le CCNE estime également fondamental que les doléances, les plaintes et les réclamations des patient(e)s reçoivent l’attention requise et fassent l’objet d’un traitement adéquat.
Enfin, parce que la démocratie participative en santé est un levier important pour renforcer la confiance, le CCNE recommande que des patient(e)s puissent intervenir dans la formation des professionnel(le)s et que les chartes et recommandations de bonne pratique soient co-construites par les organisations professionnelles et les associa- tions de patient(e)s.
Le CCNE émet enfin deux recommandations spécifiques à l’égard des autorités :
– Le ministère de la Santé et de la Prévention doit veiller à ce que les conditions organisationnelles du soin permettent aux examens de se dérouler dans de bonnes conditions, notamment en ce qui concerne l’information et le consentement ;
– Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et la Conférence des doyens de médecine doivent davantage tenir compte des enjeux de formation aux humanités et à l’éthique du soin, et les renforcer systématiquement dans la constitution des programmes d’enseignement.
Le CCNE s’est en somme demandé dans cet Avis comment un geste envers le corps peut devenir effraction, alors qu’il se veut réparateur, apaisant et guérissant. Cela peut se produire si l’on oublie que le toucher doit toujours être consenti par une psychè. La sensibilité particulière des examens touchant à l’intimité vient rappeler que c’est la prise en compte de la subjectivité qui, pour les patient(e)s, rend la nudité et l’examen acceptables.
Soumises à des rythmes et à des contextes de travail très exigeants, les institutions soignantes peuvent susciter vis-à-vis des patient(e)s l’exigence de mettre à disposition un corps, alors qu’il convient d’inviter les patient(e)s à confier ce qu’ils (elles) ont de plus précieux – leur corps, inséparable de leur psychisme – à une personne qui l’accueille, le respecte, puis en prend soin.