À travers une nouvelle étude économique réalisée avec l’Institut Sapiens, le collectif ROAD (Regroupement des Opticiens À Domicile) prouve que l’élargissement de la base de professionnels en santé visuelle, en s’appuyant sur les opticiens en mobilité, constitue une réponse concrète et efficace aux problématiques des déserts médicaux ophtalmologiques, de renoncement aux soins et de déficit de prévention.
Les questions des déserts médicaux et des inégalités d’accès aux soins, notamment pour les personnes de Grand Âge et en situation de handicap, ne cessent de prendre de l’ampleur dans le débat public. Signe d’une offre de soins à deux vitesses et d’une couverture territoriale inégale en médecins, ces obstacles à l’accès aux soins matérialisent les difficultés démographiques et économiques de notre système de santé, qui semble de plus en plus éloigné des performances qu’on voulait lui prêter. Or, les problèmes d’accès à l’expertise médicale des médecins spécialistes connus aujourd’hui ne sont pas près de s’inverser, et nous obligent à repenser l’organisation du système de santé.
Parmi les soins les moins accessibles aux patients, la santé visuelle – parent pauvre de la médecine, alors même qu’elle conditionne le bien-être des personnes et leur maintien en autonomie – figure malheureusement en bonne place. Dans une première étude économique réalisée pour le collectif ROAD (Regroupement des Opticiens À Domicile) en janvier dernier, l’Institut Sapiens relevait que l’éloignement géographique, la perte d’autonomie et les délais de prise de rendez-vous avec un ophtalmologiste étaient à l’origine d’un inquiétant renoncement aux soins, lui-même entraînant une perte économique pour le pays à hauteur de 30 milliards d’euros par an.
Dans sa volonté marquée de favoriser un accès aux soins visuels inclusif, notamment auprès des personnes les plus fragiles (Grand Âge et handicap), le collectif ROAD publie ce jour une seconde étude économique réalisée avec l’Institut Sapiens. Celle-ci apporte une véritable réflexion sur l’avenir de la filière en santé visuelle. Elle présente d’une part les ressorts de la téléexpertise et son intérêt pour l’accès à l’expertise médicale pour tous, l’importance de la délégation de tâches en faveur des opticiens en mobilité d’autre part, et avance enfin des pistes sur le financement de cette révolution en optique. En voici les principaux enseignements :
#1 La téléexpertise, un outil efficace pour améliorer l’accès à la santé visuelle
À la lumière du gain de temps inhérent à la téléexpertise, le nombre de consultations ophtalmologiques pourrait fortement augmenter, à temps médical constant. Dans son étude, l’Institut Sapiens estime ainsi que le recours à la téléexpertise – via la réalisation d’actes non invasifs, sans contact direct avec l’œil du patient – par un opticien en mobilité, en considérant que dans un premier temps seuls 10% des 43 millions d’actes d’ophtalmologie annuels seraient réalisables de cette manière, permettrait une augmentation de 12 millions d’actes ophtalmologiques, pour atteindre un total de 55 millions d’actes par an. Soit une augmentation de 28% des consultations réalisées chaque année.
A raison de 1,6 consultation par patient tous les 5 ans, la téléexpertise permettrait donc à 5,4 millions de patients supplémentaires d’être pris en charge et informés à cet horizon, parmi lesquels les personnes les plus fragiles et isolées exclues du système de santé actuellement. En sachant que la croissance « naturelle » annuelle des nouveaux patients est de 500 000, la téléexpertise déléguée permettrait d’absorber largement ce volume. À cette augmentation des consultations s’ajoutent d’importantes économies de structure et pour la planète, découlant de la diminution des déplacements, de l’amélioration de la prévention, de la diminution des coûts de consultation et un allègement des contraintes pour des aidants à bout de souffle.
#2 La délégation de tâches, un impératif pour l’avenir de l’optique
Pour assumer l’augmentation à venir du nombre d’actes et ainsi garantir un égal accès à la santé visuelle par le développement de la téléexpertise, la délégation de tâches représente un levier incontournable. Au sein de la filière en santé visuelle, cette dernière s’est accrue ces dernières années, et la bonne dynamique de coopération interprofessionnelle (97% des médecins ophtalmologistes de moins de 50 ans travaillent en équipes pluridisciplinaires) a démontré sa faisabilité et son utilité. Le hic réside maintenant dans le monopole octroyé aux orthoptistes en la matière et dans le risque inhérent à se reposer sur une seule profession, dont la démographie n’est pas des plus favorables.
Pour cette raison, la délégation de tâches à distance doit à présent être ouverte aux opticiens dans certaines conditions, comme elle est aujourd’hui autorisée en cabinet d’ophtalmologie (19% des ophtalmologistes travaillent avec des opticiens en qualité d’assistants médicaux). Comptant 40 755 professionnels sur tout le territoire, cette profession est fortement dynamique (les effectifs ont progressé de 75% en 10 ans) et tout aussi jeune que les orthoptistes (l’âge moyen y est de 36,6 ans). L’avantage est que leur densité (59,9 opticiens pour 100 000 habitants contre 8,5 orthoptistes pour 100 000 habitants) offre une surface d’intervention en soins optiques bien plus importante.
En outre, certains opticiens présentent une mobilité avérée que n’ont pas forcément les orthoptistes, leur permettant de mailler plus facilement le territoire et d’aller à la rencontre des patients où qu’ils se trouvent, qu’ils soient isolés, dépendants, ou vivant dans des déserts médicaux.
« Déléguer des tâches ne revient pas à déléguer les compétences. Le professionnel profitant de la délégation agit en autonomie et non en totale indépendance. L’ophtalmologiste, en tant que spécialiste de sa discipline, doit rester la clé de voûte de la prise en charge du patient, l’opticien n’intervenant qu’en soutien de celui-ci. Nous devons donner l’opportunité à chaque patient et notamment aux personnes en perte d’autonomie (Grand Âge et handicap) de passer devant le spécialiste et de diminuer sa perte de chance. La question est de savoir s’il le fera en direct, ou via la téléexpertise réalisée par un opticien en mobilité, affirme Matthieu Gerber.
Une transformation par ailleurs en phase avec la demande des opticiens pour plus de sens dans la réalisation de leur métier, cherchant pour beaucoup à être plus que de simples vendeurs de lunettes alors même qu’ils sont des professionnels de santé auxiliaires médicaux au même titre que les orthoptistes ».
#3 Vers la transformation du modèle économique du secteur de l’optique
Cette organisation, où l’opticien en mobilité devient un facilitateur d’accès aux soins, à travers une téléexpertise permettant la réalisation d’une consultation asynchrone avec un ophtalmologiste, serait vertueuse à plusieurs égards. La réorganisation du temps médical des ophtalmologistes, en plus de désengorger les files d’attente grâce aux dépistages amont, va permettre de réinsérer des patients, notamment isolés ou dépendants, dans le parcours de soins.
La conséquence sera une diminution du renoncement aux soins, pouvant provoquer une amélioration de la santé visuelle globale. Le spécialiste pourra quant à lui se concentrer sur les patients nécessitant un suivi plus exigeant ou une expertise plus pointue, voire des actes chirurgicaux. Néanmoins, cette nouvelle matrice du soin a un coût, que l’Institut Sapiens a évalué.
Ainsi, elle va d’abord engendrer des coûts de structure liés à l’investissement initial dans les outils dédiés à la téléexpertise, évalués à 11 000€ pris en charge par les opticiens. Par ailleurs, les 8,5 millions de consultations supplémentaires annuelles permises grâce à la téléexpertise auxquelles s’ajoutent les 3,2 millions de consultations en cabinet de patients préalablement passés en téléexpertise, vont engendrer un surcoût global de 1,2 milliards d’euros, ventilé de la façon suivante :
- 514 millions d’euros au titre du financement de l’acte de téléexpertise (dont 340 millions pour les opticiens et 174 millions pour les ophtalmologistes) ;
- 252 millions d’euros au titre de la prestation d’optique initiale sur le lieu de vie ;
- 340 millions au titre des déplacements des opticiens en mobilité ;
- 100 millions au titre des retours en cabinet des patients préalablement passés en téléexpertise.
Un surcoût qui reste très faible au regard des 30 milliards d’euros potentiellement imputables au renoncement aux soins, que ce soit en matière de perte de productivité ou d’autonomie.
« Notre étude le prouve, le secteur de l’optique a besoin d’une réelle révolution. Les besoins sont en augmentation constante, l’offre se contracte pour des raisons démographiques. Sans cette transformation majeure, ce sont ainsi plusieurs millions de personnes qui resteront sans soins adaptés, parmi lesquelles les personnes âgées et en situation de handicap. Son but est de conforter la place de l’ophtalmologiste, dont la compétence et l’expertise sont indispensables, en pensant à une nouvelle organisation des compétences et des procédés pour résorber les déserts médicaux et répondre aux besoins croissants d’une population qui ne cesse de voir sa santé visuelle se dégrader. » explique Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens.
Contact presse : Louna LAFFONT – louna@agence-leon.fr