Signalé régulièrement depuis plusieurs années, le manque de médicaments de prescription s’est amplifié pour deux raisons principales, l’augmentation régulière de la demande mondiale, d’environ 13% par an, et ponctuellement parla multiplication des besoins liée à la pandémie de Covid-19. Or, nous ne fabriquons plus nos médicaments, la production nationale ne couvre que 6% de nos besoins, l’Union Européenne y ajoute 3%, et nous importons le reste nécessaire dans des conditions qui sont aléatoires et difficiles à gérer.
Les tensions voire des ruptures d’approvisionnement touchent une catégorie particulière de médicaments. Il s’agit de médicaments anciens, dits matures, exploités au-delà de leur temps d’exclusivité (brevet échu), de forte prescription sous leur forme initiale, le princeps, mais aussi largement copiés sous forme de génériques. Leurs prix de fabrication sont bas, seuls quelques industriels, parfois un seul, les fabriquent à moindre coût pour le monde entier dans des pays où leur volume de production est rentable, principalement en Chine et en Inde. Cette production se fait à flux tendu, le marché est compétitif.
L’achat au producteur dépend du prix de vente final au patient, pour nous à l’assurance maladie. Nos prix sont bas ce qui rend notre approvisionnement plus difficile par rapport à d’autres pays, en particulier de l’Union Européenne, où les prix de dispensation sont plus élevés. Leur fabrication est complexe. Elle se réalise à partir de plusieurs étapes souvent délocalisées avant l’étape finale. Chacune d’elles est strictement encadrée, soumise à des procédures bien définies ; l’ensemble est fragile, difficilement contrôlable et donc vulnérable.
Le problème posé est celui d’obtenir un apport régulier, pérenne et suffisant des médicaments dont nous avons besoin. Quels sont ces médicaments ?
Une première liste réglementaire groupe les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) : elle est indicative mais longue, trop longue-environ 6000 médicaments- pour être utilisable. Il faut la restreindre d’où une sélection de médicaments critiques choisis parce qu’ils sont essentiels au plan médical et que la solidité (ou non) de leur approvisionnement doit être évaluée. Celle liste est en cours d‘élaboration.
Prévoir et anticiper un éventuel défaut de disponibilité suggèrent des interventions immédiates et à terme. La première est de constituer des stocks de sécurité lesquels, s’ils sont légitimes, se doivent d’entrer dans le cadre de la législation européenne. Celle-ci, en effet, impose la libre circulation des biens à l’intérieur de l’Union Européenne et donc limite le stockage au strict besoin d’un membre pour ne pas en priver un autre. La seconde est celle de la relocalisation à l’intérieur de l’Union Européenne des chaines de production des médicaments qui lui sont indispensables.
L’Académie nationale de médecine propose différents niveaux d’intervention.
Le premier est, en complément de celui des MITM, de relever et d’étudier le statut des médicaments essentiels et sans alternative au plan thérapeutique et qui sont les plus exposés au risque de pénurie.
Le second est de constituer des stocks de matières premières (ou de principes actifs) composants des médicaments critiques : on y voit comme avantages, la possibilité de fabriquer en urgence une forme pharmaceutique manquante (une préparation pédiatrique par exemple alors que d’autres sont disponibles), tout en respectant la législation européenne- ce n’est pas un médicament mais un moyen d’en faire – et une excellente façon de faire appel au tissu industriel français, en particulier à ses chimistes et à ses façonniers tout à fait capables de fabriquer les médicaments manquants. On peut imaginer qu’à l’intérieur de l’Union Européenne, un certain partage prévisionnel des tâches puisse couvrir les besoins de tous ses membres.
La conclusion de ce rapport est claire, il est et sera difficile à chaque Etat membre de l’Union Européenne de résoudre seul le problème national de ses propres pénuries car la tâche est trop lourde et les investissements très importants.
D’où la troisième proposition : seules des décisions européennes coordonnées pourront résoudre le problème globalement. Des décisions politiques en ce sens sont annoncées, elles seront à appliquer.
Lire le rapport intégral de l’Académie nationale de médecine
Synthèse des recommandations de l’Académie :
L’Académie nationale de médecine recommande :
1) La création d’une base de données unique (commune)informatisée et structurée rassemblant celles de l’ANSM, la DGS et la DGE des médicaments indispensables au plan thérapeutique associés à leur score de risque de tension/rupture d’approvisionnement (risque de pénurie).
Cette base de données permettrait d’identifier une liste courte de médicaments « critiques », établie selon l’algorithme proposé au tableau 3 et une analyse fine de la vulnérabilité des différentes formes pharmaceutiques de chaque médicament.
Le score de risque de tension / rupture d’approvisionnement tel que proposé par le rapport IGAS (Rapport Giorgi) doit en plus intégrer les antécédents de tensions / ruptures d’approvisionnement. Ce score de risque doit comporter non seulement celui de l’approvisionnement des substances actives et des produits finis mais aussi celui des matières premières (ce qui n’est pas le cas actuellement). Il devra intégrer, pour une même substance active et une même forme pharmaceutique, les données concernant l’approvisionnement des médicaments génériques correspondants à chaque princeps.
Le caractère indispensable au plan thérapeutique établi par les sociétés savantes des différentes spécialités médicales, doit en outre, tenir compte pour chaque forme pharmaceutique :
– Des différentes indications thérapeutiques d’un même médicament
– Des contre-indications spécifiques chez certains groupes de patients
– Du caractère conditionnel des alternatives disponibles au sein d’une même classe
pharmaco-thérapeutique.
2) La création de stocks de sécurité à partir de cette liste. Sachant que des stocks de sécurité nationaux demédicaments peuvent être limités par la législation européenne, il reste possible de créer des stocks de matière première et/ou de principes actifs à partir desquels on pourra localement fabriquer les formes pharmaceutiquesmanquantes par des façonniers français. Le tissu industriel national le permet et pourrait être appelé à mettre à disposition ses chaines de fabrication pour suppléer un manque de médicament.
3) L’intégration de la liste des médicaments « critiques » dans la liste des interventions d’urgences qui est réservée actuellement aux cas d’épidémie (action HERA). Elle permettra ainsi de n’avoir qu’une seule instance décisionnelle. On profitera de cette structure opérationnelle pour l’étendre aux conditions habituelles (hors épidémie) de la couverture pharmaco-thérapeutique des pays de l’union.
4) La dotation de moyens supplémentaires et l’établissement avec les autorités administratives des priorités nécessaires et les éventuelles négociations de prix. Ces dispositions permettraient aussi, en cas de nécessité, de fabriquer, sur le sol français, voire européen, les principes actifs requis dans des conditions environnementales et sociales conformes aux normes nationales et européennes. Dans ce cadre, il est fortement suggéré de développer la recherche dite de « chimie verte » qui vise à simplifier et à limiter l’impact environnemental de la synthèse des médicaments
5) Une reconsidération à la hausse des prix fixés pour les médicaments matures et leur ajustement de façon à ce qu’ils soient à nouveau exploitables.
6) La prise en compte dans les appels d’offres non seulement du prix proposé mais aussi de la localisation en Europe voire en France de la fabrication des médicaments.
Notre Compagnie s’associe et apporte son plein soutien aux recommandations de l’Académie nationale de pharmacie. Ces recommandations concernent en particulier la nécessaire revalorisation des prix des médicaments anciens en risque de rupture avec le souhait d’un alignement au moins partiel sur les prix des autres pays européens. Elles portent également sur une modification des procédures actuelles d’appels d’offres qui ne sélectionnent qu’un seul fournisseur et un seul prix. Il est souhaitable de diversifier les sources d’approvisionnement et donc de choisir plusieurs fournisseurs.
Ce rapport fait partie d’une réflexion globale de l’Académie nationale de médecine portant sur l’accès aux soins. Cette réflexion intègre deux autres rapports, le coût des molécules onéreuses en oncologie et les pénuries de dispositifs médicaux. Ces trois rapports précisent la position de l’Académie sur les problèmes d’accès aux soins dont les prix de médicaments, aujourd’hui très ou trop bas, sont une des difficultés.
Académie nationale de médecine : wwwacademie-medecine.fr
Contact presse : Virginie Gustin – virginie.gustin@academie-medecine.fr