Jeanne Belanyi, experte associée à la Fondation Jean-Jaurès, revient sur la remise en cause par la droite et l’extrême droite de l’aide médicale d’État (AME). Dans cette note, elle défend ce dispositif en montrant que la non-application de celui-ci à Mayotte, 101e département français, est un sujet majeur pour l’accès aux soins dans des conditions appropriées et des délais raisonnables, à l’heure où les Mahorais ont accès à l’eau courante qu’un jour sur trois.
Mayotte, un laboratoire pour la politique migratoire française
En 2011, Mayotte devient le 101e département français. Mais son cheminement vers le droit commun de la République s’enlise, et la lenteur de mise en œuvre des droits sociaux suffirait à elle seule à le démontrer. À titre d’illustration, le territoire présente une offre de soins sous-dimensionnée au regard des besoins : en 2020, vingt médecins généralistes exerçaient à Mayotte, pour une population totale estimée à plus de 250 000 habitants. En conséquence, le renoncement aux soins est très élevé sur l’île où 45 % des habitants de plus de 15 ans déclarent avoir dû renoncer à des soins en 2019.
Mayotte reste l’unique département français où aucune AME n’est reconnue aux personnes en situation irrégulière. L’offre de soins disponible à Mayotte est très limitée puisqu’avec 89 médecins pour 100 000 habitants en 2022, contre 338 en moyenne dans l’hexagone, Mayotte est le plus grand désert médical de France. Depuis la mise en place de la Sécurité sociale en 2005, l’accès aux soins, jusqu’alors gratuit pour tous, quelle que soit sa nationalité ou la régularité de son séjour, ne l’a plus été que pour les affiliés, les non affiliés étant contraints depuis de payer un forfait. D’où un taux de renoncement aux soins exponentiel : les non affiliés, qui correspondent aux personnes résidant de manière irrégulière sur le territoire, appartiennent pour la majorité d’entre eux à la tranche de la population la plus précaire.
De l’importance de garantir un accès aux soins dans des conditions appropriées et des délais raisonnables
Aujourd’hui, l’AME est loin d’être accessible à tous les étrangers en situation irrégulière présent sur le territoire : elle est uniquement attribuée sous conditions de résidence, le demandeur devant être en mesure de justifier une présence sur le territoire depuis au moins trois mois, et de plafond de ressources, qui s’établit en 2023 à 9 718 € pour la France hexagonale et à 10 817 € pour les départements d’outre- mer. Hors Mayotte.
La mise en place d’un système d’aide médicale d’urgence conduirait à exclure, comme c’est déjà le cas à Mayotte, une part de la population présente sur le territoire français de la garantie d’un accès courant au système de soins et à transformer le pays en un réservoir de pathologies infectieuses qui conduirait à surcharger les services d’urgence. Mayotte est l’exemple même d’un territoire qui présente une pression extrême en termes de besoins de santé et d’accroissement de l’offre de soins : l’absence d’AME, couplée à une désertification médicale, ont donné lieu à l’aggravation de l’état de santé de certaines populations mais aussi à la réapparition de maladies comme le scorbut ou le choléra.
Au-delà de la précarité administrative, la précarité sociale des populations concernées mériterait de faire l’objet d’une réflexion préventive : l’impact du mal-logement, l’insuffisance des offres de transports collectifs et la fermeture progressive des structures de santé de proximité sont autant d’éléments qui retardent une prise en charge en amont, au risque d’une prise en charge dans l’urgence. Enfin, à une prise en compte des déterminants socio-environnementaux doit s’adjoindre une stratégie d’anticipation alliant réalisme, pragmatisme et humanisme.
Contact : Eugénie ARNAUD – eugenie.arnaud@jean-jaures.org