La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) publie les résultats de l’enquête scientifique « Violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur en France : un focus sur l’alcool et le cannabis », conduite en partenariat avec le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR).
Menée par le Professeur des Universités Laurent Bègue Shankland1 auprès de 67 000 étudiant(e)s et élèves de grandes écoles entre 2023 et 2024, cette recherche d’une ampleur inédite indique que l’alcool est présent dans plus de la moitié des violences sexuelles rapportées depuis l‘arrivée dans l‘enseignement supérieur.
« La littérature scientifique internationale a depuis longtemps identifié la consommation d’alcool comme un cofacteur majeur des violences sexistes et sexuelles mais c’est la première fois en Europe que nous avons pu les spécifier sur un échantillon d’une telle ampleur en milieu étudiant » explique le Professeur Laurent Bègue Shankland.
Plus de la moitié des violences sexistes et sexuelles (VSS) en milieu étudiant implique une consommation d’alcool.
Depuis leur arrivée dans l’enseignement supérieur, 9 % des hommes, 24 % des femmes et 33 % des personnes transgenres/non binaires/queer déclarent avoir subi au moins une tentative d’agression sexuelle, une agression sexuelle, une tentative de viol ou un viol. Les femmes restent les plus concernées avec 71,4 % (n = 9272) du total des victimes de VSS2. Une proportion importante de victimes indique avoir subi ces agressions à plusieurs reprises dans plus d’un cas sur deux pour les agressions sexuelles (ou tentatives) et dans un peu moins de la moitié des viols (ou tentatives).
Selon les estimations des victimes, l’auteur avait consommé de l’alcool dans près de 62 % des tentatives d’agression sexuelle, 56 % des agressions sexuelles, 42 % des tentatives de viol et 43 % des viols.
Pour leur part, les victimes déclarent avoir consommé de l’alcool dans 47,5 % des tentatives d’agression sexuelle, 44 % des agressions sexuelles, 35% des tentatives de viol et 37 % des viols. Près d’une victime de viol ou de tentatives sur quatre rapporte avoir consommé cinq verres d‘alcool ou davantage. 23 % des victimes de viol (ou tentatives) et 16 % des victimes d‘agression sexuelle (ou tentatives) indiquent par ailleurs que l‘auteur avait tenté de modifier leur état de conscience au moyen d‘alcool ou d‘autres substances pour avoir un avantage sur elles. Ces constats doivent être appréhendés comme des éléments de « vulnérabilisation » des victimes.
Si l’on prend en compte, pour chaque situation de violence sexuelle, la consommation d’alcool cumulée des auteurs et des victimes, l’alcool est ainsi présent dans plus de la moitié des violences sexuelles.
Les habitudes de consommation d’alcool des victimes apparaissent comme un facteur de vulnérabilité supplémentaire : plus les consommations d’alcool sont importantes (fréquence, quantités, etc.)3, plus le risque de violence sexiste et sexuelle augmente. Le taux de victimation est multiplié par deux chez ceux qui boivent le plus fréquemment (passant de 15 % chez les petits consommateurs à 35 % chez ceux qui boivent le plus).
En comparaison avec la consommation d’alcool, les autres substances psychotropes sont moins fréquemment signalées dans le cadre de situations de violence sexuelle. S’agissant du cannabis, 3 % à 6 % des victimes déclarent en avoir consommé avant les faits, et 8 % à 13 % estiment que c’était le cas de l’auteur. Concernant les autres drogues, elles avaient été consommées par 2,3 % des victimes d’agression sexuelle (ou tentative), et par près de 3,5 % des victimes de viol (ou tentatives). Bien que très marginales (- de 1 %), la MDMA / ecstasy, les benzodiazépines et autres médicaments sont cités.
« Nous sommes déjà très mobilisés sur la lutte contre les VSS. Les résultats de cette étude soulignent l’importance d’intensifier nos efforts de prévention des VSS en prenant davantage en compte la consommation d’alcool et d’autres drogues chez les étudiants. Il est en particulier essentiel d’impliquer systématiquement, et de façon collaborative, tous les acteurs du milieu universitaire » résume Sébastien Chevalier, Chef du service de la coordination des stratégies de l’enseignement supérieur et de la recherche DGESIP/DGRI au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Des contextes à risque
Près de 40 à 50 % des agressions sexuelles (et tentatives) se produisent dans des contextes de sociabilité festive : bars, boîtes de nuit, fêtes ou voyages étudiants.
Les viols ou tentatives de viol sont commis dans le logement ou le véhicule de l’auteur ou de la victime dans 8 cas sur 10.
Les auteurs sont d’autres étudiants dans près de 70 % des cas d’agression sexuelle (ou tentatives) et 60 % des cas de viols (ou tentatives). Pour les agressions sexuelles (ou tentatives), l’auteur est le plus souvent une personne inconnue, rencontrée depuis peu ou une simple connaissance.
En revanche, dans les cas de viols ou tentatives de viol, il s’agit du partenaire ou de l’ancien partenaire dans un peu moins d’un cas sur deux.
Les violences sexuelles et sexistes sont nettement plus fréquentes le jeudi, le vendredi, et plus encore le samedi et quatre à cinq fois plus fréquentes entre 23h et 3h du matin qu‘en début de soirée : moins de 5 % des violences sexuelles de tout type se produisent avant 21 heures, puis elles augmentent de 11 % pour chaque heure avant de décliner après 3 heures du matin. Ces violences sont plus fréquentes en septembre, octobre ainsi qu’en novembre. Le mois d’août est également un mois à risque concernant les viols et tentatives de viol.
Des suites trop rares au regard de la gravité des faits
La fréquence des dépôts de plainte auprès des forces de police ou de l’autorité judiciaire ainsi que la saisine des établissements d’enseignement supérieur est faible. Elle varie en fonction des types d’agression (2,5 % des cas d’agression sexuelle et 7,9 % des cas de viol ont conduit à un dépôt de plainte).
Enfin, la recherche met en lumière la probabilité de dépôt de plainte en fonction de la qualification des faits et du niveau de consommation d’alcool de la victime. On observe environ deux fois moins de dépôts de plainte chez les victimes d’agression sexuelle ou de tentatives d’agression sexuelle ayant consommé de l’alcool. Cette tendance s’inverse pour les viols où les victimes qui étaient alcoolisées déposent significativement plus fréquemment plainte (9,7 %) que celles qui ne l‘étaient pas.
La lutte contre la consommation d’alcool au cœur de la prévention des VSS
De nombreuses actions ont été initiées ces dernières années afin de réduire la fréquence et la gravité des VSS dans le monde étudiant : le Plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche a notamment permis de renforcer les actions de sensibilisation, de prévention et de formation, ainsi que la prise en charge des victimes. De nombreuses associations sont mobilisées contre ce fléau.
Cependant, les résultats de cette étude montrent la nécessité d’accélérer encore ce mouvement et d’intensifier la prévention des consommations excessives d’alcool en milieu étudiant. Elle donne des indications précises sur les contextes à risque afin de mieux protéger les étudiants. Elle montre aussi la nécessité d’apporter plus de réponses administratives et judiciaires en cas d’agression.
« Les résultats de cette étude sont une alerte sérieuse qui nous oblige tous. Nous diversifions d’année en année nos actions de prévention des violences impliquant l’alcool et les autres drogues au sein de la communauté étudiante : nous venons par exemple de conclure plusieurs accords avec les Grandes Ecoles pour soutenir des projets de prévention des addictions. Nous allons aussi expérimenter de nouveaux programmes ayant fait leur preuve à l’international. Mais les résultats de l’étude nous enjoignent à aller encore plus loin » observe le Dr Nicolas Prisse, Président de la MILDECA. « Faire la fête et célébrer sans abuser de l’alcool est un mouvement global de la société qu’il faut encourager afin notamment de protéger les étudiants, en particulier les jeunes femmes ».
Notes :
1 Laurent Bègue Shankland est professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes, membre de l’institut universitaire de France et directeur de la Maison des Sciences Humaines Alpes (CNRS/UGA).
2 15 % (n= 1945) sont des personnes transgenres/non binaires/queer et 13,6 % (n= 1761) sont des hommes.
3 Les consommations habituelles sont mesurées par le test alcoologique AUDIT C.
Contexte :
Avec le soutien du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, cette enquête, anonyme et confidentielle, a été menée du 15 novembre 2023 au 29 février 2024. Le questionnaire en ligne a été diffusé au moyen d’une communication visuelle dans les universités, services de santé étudiants et CROUS ainsi que sur les réseaux sociaux. L’échantillon final comprend 66 767 participants dont l’âge médian est de 20 ans.
Comme dans les enquêtes similaires sur les violences sexistes et sexuelles, les répondantes sont surreprésentées : dans l’échantillon, 67,2 % (N = 44 831) s’identifient comme femmes « selon l’Etat-civil » et 32,4 % comme hommes. Concernant l’orientation sexuelle, les participants se définissent principalement comme hétérosexuels (72,7 %), bisexuels (10,4 %), homosexuels/lesbiennes (3,8 %), pansexuels (3,4 %), ne sachant pas/en questionnement (3,3 %) ou une combinaison de ces orientations. 29,3 % sont en première année d’étude supérieure, 20,8 % en deuxièmes année, 18,5 % en troisième année, 12,8 % en quatrième année, 11,1 % en cinquième année et 7 % en sixième année ou plus. 37,9 % perçoivent une bourse basée sur critères sociaux, et 29,5 % ont une activité professionnelle pour subvenir à leurs besoins.
Bien que l’échantillon ne soit pas strictement représentatif, sa composition est suffisamment proche de la population étudiante pour que des conclusions générales puissent en être tirées.
À propos de la MILDECA
Placée sous l’autorité du Premier ministre, la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) anime et coordonne l’action du gouvernement en matière de lutte contre les drogues et les conduites addictives et élabore à ce titre la stratégie gouvernementale en la matière dans les domaines suivants : recherche et observation, prévention, santé et insertion, application de la loi, lutte contre les trafics, coopération internationale. La MILDECA accompagne les partenaires publics, institutionnels et associatifs de la politique publique dans la mise en œuvre des orientations, en leur apportant un soutien méthodologique ou financier.
Contacts presse
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Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA)
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