En mai dernier, la Cour des comptes a publié son rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss), dans lequel elle critiquait la trajectoire financière de la sécurité sociale qui comportait des déficits croissants d’ici à 2027. À l’occasion de l’examen parlementaire du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, la Cour a actualisé son analyse sur les enjeux financiers liés à la sécurité sociale.
Les commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat ont souhaité obtenir communication de ces travaux[1] qui constatent que 2024 est une année de rupture dans la résorption du déficit de la sécurité sociale depuis le pic atteint en 2020 lors de la crise sanitaire. Le PLFSS pour 2025 comprend un ensemble de mesures en recettes et en dépenses de nature à endiguer ponctuellement l’aggravation du déficit.
Pour autant, d’ici à 2028, la trajectoire financière de la sécurité sociale continuerait de se dégrader, le déficit annuel atteindrait 19,9 Md€. L’accumulation de tels déficits, sans solution de financement, conduit à la reconstitution d’une nouvelle dette sociale qui atteindrait, d’ici à 2028, près de 100 Md€.
En 2024, une situation financière devenue structurellement déficitaire
Le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss) et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) atteindrait 18 Md€ en 2024 selon les données du PLFSS pour 2025. Un tel déficit est non seulement en dégradation par rapport à 2023 (10,8 Md€) mais représente aussi un dépassement de 7,5 Md€ par rapport à la prévision initiale en loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Ce dépassement correspond à un effet de ciseau entre un niveau de recettes mal anticipées, autant que pour l’ensemble des administrations publiques, et une dynamique des dépenses de santé insuffisamment maîtrisée. Les recettes sont inférieures de 6,2 Md€ par rapport à la prévision initiale, dont 2,9 Md€ relèvent des recettes assises sur les revenus du travail (cotisations sociales, CSG, taxe sur les salaires, forfait social) en raison d’une évolution de la masse salariale moins dynamique que prévue de 3,2 % au lieu de 3,9 % en LFSS 2024. La moindre dynamique de la TVA, dont 28 % sont affectés à la sécurité sociale, pèse aussi sur ses recettes.
Les dépenses de la branche maladie dépasseraient aussi l’objectif initial sous l’effet de la dynamique des soins de ville (médecins spécialistes : + 0,4 Md€ ; indemnités journalières : + 0,4 Md€) et des dépenses Covid (+ 0,3 Md€). Cette prévision pour 2024 n’est pas encore acquise. Elle implique l’adoption de mesures inscrites en PLFSS pour 2025 et applicables dès 2024.
Un effort de maîtrise des déficits prévu en 2025
Pour 2025, le déficit tendanciel se creuserait fortement pour atteindre 28,4 Md€, selon les données du rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale du 14 octobre 2024. Cette tendance correspond au même effet ciseau tenant à une hausse limitée des recettes du fait des hypothèses économiques et à une dynamique des dépenses qui reste forte : a) hausse des dépenses vieillesse (+ 6 Md€ en 2025[2], après + 18 Md€ en 2024) , b) hausse des dépenses de santé liée à l’effet démographique et à l’impact des nouvelles conventions avec les professionnels de santé (+ 1,6 Md€), c) engagements pluriannuels sur l’adaptation de l’offre dans le secteur médico-social (0,8 Md€) et d) montée en puissance du service public de la petite enfance (+ 0,7 Md€).
Les mesures financières du PLFSS pour 2025 permettraient d’endiguer le déficit de la sécurité sociale à 16 Md€ en 2025, au niveau prévu précédemment dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, et sous réserve des hypothèses économiques notamment de croissance que le Haut Conseil des finances publiques a jugées « un peu élevée »[3]. Cet effort suppose des dispositions législatives (report de six mois de revalorisation des pensions, réforme des allègements généraux de cotisations) ou réglementaires (hausse des cotisations à la caisse de retraites des agents fonctionnaires des collectivités locales et hospitaliers – CNRACL-, révision du plafond des indemnités journalières, modification du ticket modérateur) ou d’actions de la part des acteurs (maîtrise médicalisée des dépenses, efforts d’efficience des hôpitaux publics).
Une trajectoire des déficits non soutenable de 2026 à 2028
Selon les données du PLFSS pour 2025, la trajectoire financière de la sécurité sociale reste très fortement dégradée d’ici à 2028. Alors même que la poursuite de mesures de recettes (hausse de 4 points des cotisations CNRACL en 2026 puis en 2027) est encore loin de permettre un retour à l’équilibre financier. Le déficit annuel de la sécurité sociale s’aggraverait encore pour atteindre 19,9 Md€ en 2028. Il porterait pour l’essentiel sur la branche maladie qui resterait structurellement déficitaire (16 Md€). La branche vieillesse retrouverait un déficit significatif après l’effet des mesures de hausses de cotisation des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (6 Md€).
D’ici à 2028, l’accumulation des déficits annuels atteindrait près de 100 Md€ ce qui revient à la reconstitution d’une dette sociale pour laquelle il n’y a pas de solution de financement de long terme. En effet, la capacité de reprise de la dette sociale par la caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) est désormais épuisée depuis 2023. Les déficits annuels de la sécurité sociale restent donc dans les comptes de l’agence centrale des organismes de sécurité sociales (Acoss) chargée de gérer la trésorerie de la sécurité sociale et qui se trouve contrainte de les financer par des emprunts à court terme. Il s’agit d’une impasse de financement de la sécurité sociale.
Dans un tel contexte, et afin de ne pas reporter sur les générations futures le poids d’une nouvelle dette sociale, une stratégie pluriannuelle de redressement des comptes sociaux est indispensable par des mesures d’efficience permettant des économies et par le nécessaire réexamen des exemptions[4] et des allègements de cotisations sociales.
Lire la communication aux assemblées
Notes :
[1] La communication porte sur la situation des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss) et du fonds de solidarité vieillesse (FSV). Elle ne couvre pas l’assurance chômage ni les régimes complémentaires de retraite.
[2] Les dépenses de la vieillesse augmentent plus fortement du fait du changement de périmètre, avec 5 Md€ de transferts d’équilibre des régimes spéciaux supportés par la Cnav et financés par crédits budgétaires (neutre sur le solde).
[3] Avis n°HCFP-2024-3 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2025 du 8 octobre 2024
[4] Voir Cour des comptes, Les niches sociales des compléments de salaire : un nécessaire rapprochement du droit commun, Ralfss 2024
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- Julie Poissier – Directrice de la communication – julie.poissier@ccomptes.fr
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