En France, les médicaments sont conditionnés et distribués au public en boîtes contenant plusieurs doses, contrairement à d’autres pays, notamment européens, où ils sont délivrés à l’unité, c’est-à-dire en quantité strictement égale à celle prescrite. La boîte a l’avantage de protéger le produit, d’en garantir l’authenticité au travers d’un code dit de sérialisation, et de servir de support à des messages, de précaution d’emploi notamment.
Toute la chaîne pharmaceutique en France, de la fabrication du médicament à la remise au patient en passant par la répartition entre les officines, est organisée en fonction de la boîte, y compris les logiciels de gestion des stocks et la tarification pour la vente au public. Sur le fondement de la prescription, le pharmacien doit délivrer le nombre de boîtes permettant, au minimum, de couvrir la durée du traitement, éventuellement en excès. Le reliquat sera peut-être mal consommé ultérieurement, en automédication, ou stocké puis détruit, avec les dommages afférents en termes financiers, de santé et de protection de l’environnement. La délivrance à l’unité peut donc être un moyen de remédier à ce gaspillage.
Examiner sa pertinence et sa faisabilité est l’objet du rapport de la Cour des comptes au Parlement, dévoilé le 7 novembre.
La délivrance à l’unité existe déjà, mais de manière marginale en ville
Dans les établissements de santé, les médicaments sont systématiquement délivrés à l’unité. Les approvisionnements, la gestion des stocks et les modes de distribution sont adaptés de longue date à cette pratique, ce qui est facilité par le contrôle des conditions de conservation du produit jusqu’à son administration au patient. En ville, dans les pharmacies d’officine, la délivrance à l’unité consistant à vendre la quantité exacte de doses prescrites, sans dépassement, au besoin en ouvrant une boîte, existe de manière marginale.
Elle est obligatoire de longue date pour la vente de produits stupéfiants (produits à risque d’addiction, anti-douleurs puissants…) et, depuis 2024, pour la vente de produits soumis à des difficultés d’approvisionnement lorsque les autorités sanitaires le décident (cas de la quétiapine, antipsychotique, en 2025). Elle est autorisée depuis 2022 pour la vente d’antibiotiques, pour lutter contre le gaspillage et l’antibiorésistance. Les quantités délivrées ainsi à l’unité, au total, sont faibles ; elles n’ont représenté, en 2024, que 0,08 % des dépenses de médicaments délivrés en ville.
En effet, les difficultés matérielles de mise en œuvre au comptoir, de gestion des reliquats des boîtes et de tarification n’incitent pas les pharmaciens à la pratiquer en dehors des cas où elle est obligatoire.
Toutefois, en réponse aux besoins des résidents des établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes (Ehpad), certaines pharmacies d’officine se sont spécialisées dans la préparation de piluliers ou de sachets, le plus souvent hebdomadaires, en fonction des moments de prise des médicaments, pour chaque patient, appelée « préparation des doses à administrer ». La spécialisation conduit ces pharmacies à produire en grande quantité et de manière automatisée ces piluliers, parfois pour de nombreux Ehpad et à une grande distance de ceux-ci.
Respectant formellement la facturation à la boîte en l’absence de facturation possible à l’unité, cette pratique quasi industrielle se développe et bénéficie à un cinquième de la population résidant en Ehpad aujourd’hui. Elle constitue la forme majoritaire de la délivrance à l’unité en France mais elle n’est pas encadrée par les pouvoirs publics.
La pertinence d’une généralisation peu assurée au regard des gains et des coûts
En ville, la délivrance à l’unité ne peut s’appliquer qu’aux médicaments sous forme orale sèche (comprimés et gélules) et est particulièrement adaptée aux traitements aigus, de courte durée. Ainsi délimité, le champ de pertinence de la délivrance à l’unité représenterait 52 % du nombre de boîtes de médicaments vendues en officine et 15 % de la dépense de médicaments délivrés en ville (soit un ordre de grandeur de 4,5 Md€). Une étude réalisée par l’Inserm en 2015 avait permis d’estimer qu’une délivrance à l’unité d’antibiotiques permettrait d’envisager un gain de l’ordre de 10 % des quantités délivrées, ce qui, extrapolé au domaine de pertinence de la délivrance à l’unité, permettrait une économie de l’ordre de 450 M€, montant dont il faudrait soustraire les coûts induits par une généralisation de cette pratique.
La généralisation de la délivrance à l’unité, dans le but d’épargner une partie des médicaments vendus et de réduire à proportion les dépenses de santé, bouleverserait en effet l’ensemble de la production et de la distribution des médicaments, et augmenterait dans une proportion non négligeable la durée de l’acte de délivrance au comptoir des pharmacies ainsi que la rémunération de celle-ci. Les coûts d’une telle transformation, tant en termes d’investissements que de moyens humains supplémentaires, seraient élevés et de nature, selon les médicaments, à annuler les gains issus de la réduction des quantités délivrées.
L’intérêt strictement financier d’un tel changement n’est donc pas assuré mais les autres avantages de la délivrance à l’unité, en termes de réduction des quantités de substances diffusées et, par conséquent, de risques pour les patients et pour l’environnement, demeurent significatifs. Les quantités épargnées peuvent notamment suffire à réduire les tensions en cas de difficultés d’approvisionnement d’un médicament, dès lors qu’elle est rendue obligatoire pour celui-ci, par exemple pour certains antibiotiques.
Une pratique à développer au sein d’une stratégie globale de juste délivrance des médicaments
Bien qu’elle ne constitue pas un levier décisif pour réduire les dépenses de santé, la délivrance à l’unité mérite d’être facilitée et sécurisée, sur les plans réglementaires et tarifaires, dans une logique d’ensemble visant à réduire la consommation de médicaments, aux côtés de plusieurs autres mesures déjà identifiées par la Cour et rappelées dans le présent rapport. L’élargissement de la pratique de la délivrance à l’unité aux situations où elle est la plus utile exige que la tarification à la boîte soit complétée par la fixation d’un tarif de la dose à l’unité, par spécialité susceptible d’en être l’objet.
Ce tarif, complété par un honoraire de dispensation indépendant de la boîte, pourra s’intégrer dans les logiciels de facturation officinaux et simplifiera grandement la pratique en pharmacie ainsi que la prise en charge par l’assurance maladie. S’agissant des patients pluri-pathologiques nécessitant des traitements permanents complexes, principaux consommateurs de médicaments en ville, l’amélioration de l’observance et la réduction du gaspillage reposeront de plus en plus sur la préparation des doses à administrer.
Comme pour les pharmacies hospitalières, sa pratique nécessite un encadrement qui pourrait prendre la forme d’une obligation de déclaration d’activité, dès lors qu’elle est automatisée, et de contrôles par les agences régionales de santé (ARS). Une expérimentation de sous-traitance entre officines permettrait d’en appréhender les conditions et d’en apprécier les conséquences sur le réseau pharmaceutique de proximité.
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