Le Premier ministre a publiquement déclaré le 14 novembre 2025 devant l’assemblée des départements son intention de lancer une nouvelle étape de décentralisation sur le champ des politiques sanitaires et médico-sociales. Confirmé depuis, ce souhait s’est traduit le 5 décembre dernier par une lettre de mission à l’IGAS, l’IGA et l’IGF afin de préparer les dispositions législatives de ce « nouvel acte de décentralisation avec les collectivités territoriales et de réforme de l’Etat ».
Cette expression du Premier ministre a suscité des réactions critiques de la grande majorité des organisations professionnelles du secteur. La perspective d’une réforme d’ampleur des ARS a d’abord polarisé l’attention. Le chantier ouvert va cependant bien au-delà avec des orientations sur les politiques sanitaires et médico-sociales que la lettre de mission du 5 décembre détaille, sans toutefois les éclairer beaucoup. Le tempo donné à cette réforme, annoncé comme très serré avec une communication imminente en conseil des ministres et un projet de loi au premier trimestre 2026, laisse perplexe dans une situation parlementaire aussi instable.
Pour le SYNCASS-CFDT, cet ensemble baroque témoigne d’abord d’une erreur d’analyse sur la place prise par les ARS dans le paysage sanitaire et médico-social.
Derrière l’enjeu d’une nouvelle phase de la décentralisation (où, visiblement pour le gouvernement, les thèmes retenus ne sauraient être que sanitaires et médico-sociaux), il y a une volonté de faire repasser sous la coupe des préfets de département des politiques publiques qui leur avaient été retirées au début des années 2010. Pourtant, elles réclament coordination des acteurs, technicité des décisions, appui de compétences spécifiques et scientifiques (médicales entre autres) pour lesquelles les préfets ne semblent pas les mieux armés pour les conduire.
Les ARS ont été régulièrement mises en cause ces dernières années : il leur est reproché d’être trop lourdes pour être agiles, en particulier depuis la loi NOTRE. Elles sont plombées par l’hétérogénéité des missions couvertes (hygiène sanitaire, contrôle des eaux, inspections des établissements, délivrance d’autorisation, maladies à déclaration obligatoire…) et des cloisonnements internes. Elles sont critiquées pour leur éloignement du terrain, en particulier au niveau des sièges des ARS. Comme beaucoup d’administrations spécialisées, elles souffrent d’un turn-over élevé des compétences et de difficultés de recrutement qui génèrent trop fréquemment une lenteur excessive des procédures alors qu’on attend d’elles de la réactivité.
Les directeurs, par rapport aux anciennes DDASS/DRASS mais également à leur prédécesseur les Agences Régionales de l’Hospitalisation, relèvent un temps insuffisant consacré au recrutement et à l’évaluation des directeurs, associé à une connaissance trop souvent lacunaire des établissements placés sous leur contrôle.
A la création des ARS, plusieurs objectifs coexistaient :
- Décloisonner les secteurs sanitaire et médico-social, MCO et psychiatrie, ville et hôpital : le mouvement est loin d’être achevé, il ne pourra pas l’être si les politiques sont segmentées et placées sous la coupe d’acteurs différents ; d’autant que le décloisonnement concerne désormais également la santé environnementale, la prévention/promotion de la santé, au-delà des soins primaires et de recours ;
- Introduire de la régionalisation des politiques en fonction d’indicateurs de santé différents selon les territoires et les populations : cet objectif est plus ou moins bien rempli, l’impact du Fonds d’Intervention Régional devrait sur ce point être mieux évalué ; mais la lecture des projets régionaux de santé montre des orientations tenant compte d’enjeux différenciés selon les régions ;
- Eloigner la décision publique des édiles locaux dans le cadre d’une régulation censée être plus efficace du système de santé. Cette orientation n’a eu qu’un effet relatif car les ARS restent très à l’écoute des élus et des parlementaires, tout simplement parce que le niveau central, à commencer par les cabinets ministériels, le leur demandent instamment. Le résultat est que la réorganisation de l’offre de soins a été ralentie plus qu’accélérée par les ARS, à la demande expresse mais non assumée des autorités nationales.
Le Premier ministre a salué l’engagement des collectivités en faveur de l’accès aux soins en proximité. Mais pourquoi les départements et les communes interviennent-ils dans un champ, la santé, qui ne fait pas partie de leurs attributions ? Construction et mise à disposition de locaux, campagnes de communication pour attirer des professionnels, création de « bureaux de recrutement », guichet unique, accompagnements divers, salariat médical : autant d’initiatives qui se sont multipliées ces dernières années.
La réponse est sans équivoque : c’est l’Etat qui ne prend pas ses responsabilités ! Il refuse d’agir fermement pour l’équilibre de la répartition des professionnels sur le territoire. Il laisse à d’autres le test de nouveaux modes de rémunération réclamés par les professionnels, notamment le salariat. Il refuse de réguler réellement l’installation, laissant les inégalités d’accès aux soins exploser.
C’est donc un échec de la politique nationale de santé que l’Etat voudrait faire payer aux ARS !
Si les objectifs et enjeux d’origine n’ont pas fonctionné, on le doit en effet à une politique nationale qui souffre de défauts dénoncés depuis longtemps :
- une complexité jamais corrigée : par exemple, la dernière réforme du régime d’autorisation des activités de soins,
- l’absence de confiance matérialisée par une avalanche permanente de consignes et contraintes édictées au niveau national,
- une réforme des régions ayant étendu à l’excès des territoires d’actions alors même que proximité et lisibilité faisaient partie des attentes légitimes envers elles,
- une politique d’attribution de moyens systématique par appel à projets qui ne permet ni d’innover en sécurité, ni de pérenniser ce qui fonctionne,
- l’attribution restée largement clientéliste des subventions d’investissement encouragée d’en haut (malgré des dossiers à caractère bureaucratique centralisés),
- et surtout l’injonction constante de « ne pas faire de vagues » localement, enlevant tout courage à la décision politique en matière de santé !
Le Premier ministre a privilégié l’échelon départemental dans les pistes de réforme qu’il a esquissées.
Les politiques sociales et médico-sociales confiées aux départements sont-elles l’exemple de ce qui est souhaitable comme modèle pour la politique de santé imaginée par le gouvernement ? La politique de l’enfance, les personnes âgées, le handicap, la protection maternelle et infantile, sont-elles des réussites telles qu’elles doivent être déclinées sans délai au niveau sanitaire ? Comment découper les soins de premier recours de l’offre hospitalière elle-même intégrée à des GHT au périmètre variable et dépendante de subdivisions universitaires différents des territoires régionaux et d’une dispersion des CHU, en rivalité dans certaines régions, isolés dans d’autres ?
Certains exécutifs départementaux réclament bruyamment d’accroître leur emprise sur certaines de ces politiques tout en dénonçant le manque de moyens auquel les condamne l’Etat pour financer leurs actions en matière sociale.
Notre constat, en tant que gestionnaires d’établissements sociaux, médico-sociaux et sanitaires, ce sont de criantes disparités territoriales, en termes de taux d’équipement, de prix de journée, de prestations offertes et d’accompagnements dédiés aux populations, ainsi qu’une explosion des inégalités de traitement selon le lieu de résidence.
Le SYNCASS-CFDT l’affirme à nouveau dans la résolution votée lors de son 9ème congrès les 20 et 21 novembre dernier : une politique nationale de santé doit se fonder sur l’universalité des prestations délivrées, l’égalité d’accès aux soins et l’équité de traitement des citoyens face à la maladie. Confier aux départements tout ou partie de celle-ci revient non seulement à permettre que des vues idéologiques différentes entraînent des écarts de prise en charge sanitaire, mais aussi entériner des moyens disparates, issus de leurs capacités inégales de financement, liés aux spécificités géographiques comme démographiques des départements.
Pour le SYNCASS-CFDT, l’Etat doit définir et impulser une politique nationale, donc équilibrée, qui intègre régulation de l’offre de soins et répartition équitable des moyens financiers et humains sur le territoire. Avaliser des inégalités territoriales comme socle de l’offre sanitaire, c’est nourrir le rejet démocratique et favoriser des projets politiques d’exclusion et de discrimination.
Le SYNCASS-CFDT l’a rappelé : il souhaite une politique de santé décidée nationalement, associant localement professionnels de santé et usagers du système sanitaire. Le Meccano institutionnel imaginé par le gouvernement relève d’abord de la communication vers une partie des élus locaux, sans diagnostic ni vision. C’est une très mauvaise réponse aux inquiétudes de la population sur l’accès aux soins.
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