Le sepsis qui désigne les conséquences néfastes sur les fonctions vitales des infections graves est à l’origine de plus de 30 000 morts par an en France, soit environ autant que le cancer du poumon, plus que ceux dus à l’infarctus du myocarde et neuf fois plus que le nombre de tués sur les routes ! Un malade décède du sepsis dans le monde toutes les 3 secondes et, pourtant, 90 % des Français ignorent l’existence de ce tueur de masse[1]. Le sepsis est devenu un problème de santé publique de plus en plus préoccupant car sa fréquence augmente partout du fait de l’agressivité des traitements modernes sur l’immunité et du vieillissement des populations, avec des patients de plus en plus âgés et donc fragiles, porteurs de pathologies chroniques lourdes.
La Journée Mondiale de Lutte contre le Sepsis qui vient d’avoir lieu le 12 septembre à Paris a réuni les plus grands spécialistes francophones, médecins, infirmiers et chercheurs à l’Institut Pasteur[2]. Ils ont souligné le problème majeur que représente le sepsis en santé publique et rappelé le lien qui existe entre le sepsis et les décès dus à Ebola. Cette journée a démontré le besoin impérieux d’intervenir à au moins quatre niveaux : la recherche, le soin, la formation et la prévention.
Retour sur cette journée
Le directeur de l’Institut Pasteur, Christian Bréchot, introduit le colloque en soulignant que l’Institut est actuellement mobilisé par l’épidémie de fièvre Ebola dont beaucoup de malades meurent des conséquences du sepsis. Il souligne l’intérêt d’une journée mondiale de lutte contre le sepsis qui est un réel problème de santé publique. La lutte contre le sepsis représente un des axes importants de l’Institut Pasteur qui soutient avec intérêt ce colloque.
Le directeur général de la santé, Benoît Vallet, souligne d’emblée l’utilité de cette journée mondiale contre le sepsis. En effet, « lutter contre les infections qui tuent » est au centre des préoccupations actuelles de la Ministre de la Santé. La France est très engagée dans la lutte contre l’épidémie de fièvre Ebola en Guinée selon la volonté de l’OMS et de l’ONU. Cette opération de soutien a d’abord permis de faire le point grâce à un envoi de missionnaires en lien avec les autorités locales et d’effectuer une seconde action dont les modalités seront proposées par la Ministre lundi à Bruxelles afin de coordonner l’action sur l’Afrique de l’Ouest et les rapatriements sanitaires. La France soutient les efforts de recherche sous la bannière d’AVIESAN. En lien avec l’INSERM et l’Institut Pasteur, un essai clinique d’un médicament antiviral débutera rapidement. Des recherches sur un vaccin et le sérum de sujets ayant survécu à l’infection sont en cours et des financements européens sont recherchés. >
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Point sur l’épidémiologie du sepsis
Jean-François Timsit, réanimateur à l’Hôpital Bichat, en charge de l’épidémiologie du sepsis, montre d’abord qu’aux EU, son incidence (sa fréquence) est élevée 300/100.000 habitants et la mortalité importante représentant 215.000 décès (environ 30%), ce qui correspond à celle de l’infarctus du myocarde. Cette incidence est partout en augmentation, y compris en France où l’admission en réanimation est passée de 9 à 15% de 1993 à 2001, en particulier du fait de thérapeutiques qui diminuent fortement les défenses de l’organisme contre l’infection (chimiothérapie, pose de cathéter intraveineux, sonde vésicale…). L’incidence est plus importante chez l’homme, en ville, dans les groupes ethniques issus d’Afrique subsaharienne ou parmi les populations socialement défavorisées. Bien que les données des études varient du fait que les définitions ne sont pas toujours identiques et surtout qu’elles correspondent à des codes variés dans les dossiers médicaux, les résultats sont dans l’ensemble très concordants : la mortalité diminue régulièrement en Europe, aux EU et, par exemple, en Australie et en Nouvelle Zélande, elle se réduit de 1,3% par an depuis les années 2000. Il semble que la mise en œuvre des recommandations internationales soit partiellement responsable de cette réduction de mortalité. Cependant, cette réduction est identique à celle des autres patients en réanimation, bien que le retour à domicile soit encore plus rapide en cas de sepsis. La mortalité dans l’année qui suit un sepsis reste préoccupante, voisine de celle du cancer, vraisemblablement du fait de l’aggravation secondaire de la maladie chronique ayant favorisé le sepsis (cirrhose, diabète, cancer…).
Rôle des prédispositions génétiques aux infections graves ?
Jean-Paul Mira, réanimateur à l’Hôpital Cochin, explique ensuite les prédispositions génétiques aux infections graves. Il est certain que les grandes épidémies ont eu une influence majeure sur la sélection des hommes au cours de l’évolution de l’espèce. Les gènes qui commandent la défense contre l’infection sont beaucoup plus variés que les autres gènes et présentent de plus nombreux polymorphismes (variations). De nombreux polymorphismes exposent à l’infection, mais peu de sujets développent en fait la maladie. Il faut bien garder en tête que la génétique n’est responsable que d’une partie de la réponse qui est fortement modulée par l’environnement. Les désordres majeurs de susceptibilité siégeant par un seul gène et conduisant à des infections sévères dès la petite enfance ont été les premiers détectés (tuberculose, infections à pneumocoque…). Chez l’adulte, la susceptibilité est souvent en relation avec des désordres moins critiques sur plusieurs gènes qui peuvent se compenser ou s’additionner, rendant l’analyse particulièrement complexe. De plus, ces polymorphismes sont variables d’une ethnie à l’autre. Leur identification est utile pour la prévention, la recherche de marqueurs biologiques et de cibles thérapeutiques. On est encore loin de la médecine personnalisée. Cependant, certains polymorphismes de susceptibilité à l’aspergillose (affection fungique [champignon] gravissime chez le patient dont l’immunité est altérée) ont été utiles à connaître pour la sélection des donneurs ou la particulière surveillance, si la sélection n’était pas possible. La constitution d’une bio-banque pour les prélèvements des patients ayant présenté une infection particulièrement brutale et sévère pourrait permettre des avancées significatives.
Les conséquences neurologiques du sepsis
Tarek Sharshar, réanimateur à l’Hôpital Raymond Poincaré, décrit les conséquences neurologiques du sepsis comme fréquentes et sévères (confusion, troubles de conscience, convulsions). Elles doivent être détectées cliniquement et électriquement (électro-encéphalogramme), voire par l’imagerie cérébrale quand cela parait utile et sans risque pour le patient. La fréquente sédation de ces patients gène son appréciation et représente de plus un risque de troubles cognitifs après l’épisode de sepsis ; d’où l’importance de lever régulièrement cette sédation et de prescrire la dose minimale. L’atteinte cérébrale peut être due à des mécanismes ischémiques (altération de la perfusion) et/ou inflammatoires (altération de la microcirculation). Les troubles cognitifs après un sepsis avec coma sont fréquents et peuvent persister plusieurs mois. Le seul traitement est le contrôle du sepsis et d’éviter la neurotoxité des médicaments en ne donnant des doses minimales efficaces et en réduisant au maximum le temps de la sédation.
Pathogénicité des streptocoques B
Patrick Trieu Cuot, Chef de l’Unité de Biologie des bactéries pathogènes à Gram-positif à l’Institut Pasteur, a rappelé l’importante contribution des streptocoques du groupe B dans le sepsis néonatal. Il a par la suite expliqué les mécanismes physiopathologiques qui gouvernent l’infection par ces germes. En particulier, des éléments microbiens comme la GAPDH, une ectonucleotidase, l’ARN et l’hémolysine sont à l’origine de l’activation de l’inflammasome aboutissant à la production d’IL-1β et d’une forte réponse production de cytokines tant pro- qu’anti-inflammatoires. En particulier, la forte production précoce d’IL-10 nuit au recrutement des neutrophiles sur le site de l’infection.
De l’intérêt des modèles animaux
Un débat contradictoire a été proposé sur l’utilisation des modèles animaux. Marc Lecuit, Chef de l’Unité de Biologie des Infections à l’Institut Pasteur a rappelé tout l’intérêt de ces modèles pour définir avec précision la nature des récepteurs utilisés par les pathogènes pour coloniser leurs hôtes. Ainsi par exemple, de subtiles différences dans la E-cadherine humaine et murine capable ou non de fixer l’internaline A de Listeria monocytogenes expliquent la possibilité de ce germe d’infecter l’homme et non pas la souris. L’humanisation des souris peut alors permettre de disposer de souris sensibles aux pathogènes humains alors fortes utiles pour déchiffrer les mécanismes physiopathologiques. Néanmoins, Jean-Marc Cavaillon, Chef de l’Unité Cytokines & Inflammation à l’Institut Pasteur, a rappelé l’échec des approches thérapeutiques proposées ces dernières années à partir des modèles murins. Il a évoqué les nombreuses différences qui existent au sein du système immunitaire entre les deux espèces pour expliquer la difficulté d’extrapoler des données acquises chez la souris aux situations chez l’homme. Il a plaidé pour le développement d’autres modèles animaux plus performants et un partenariat plus avancé avec les vétérinaires.
Amélioration de la chaîne de soins
La table ronde dévolue à « l’amélioration de la chaine de soins » débute par l’intervention de Pierre Carli, Directeur du SAMU de Paris, qui insiste sur la difficulté du diagnostic de sepsis au téléphone pour le régulateur du SAMU. Certes très rarement, le diagnostic est facile quand il s’agit d’un coma avec fièvre, d’un essoufflement important, d’une fièvre avec une éruption cutanée caractéristique d’un purpura fulminans qui conduit à l’envoi d’une ambulance médicalisée et à l’admission en réanimation. Mais le plus souvent, il n’existe pas de signes alarmants et une ambulance simple est envoyée sur place. Sur une durée de 2 mois correspondant plus de 30.000 appels, 163 appels pour lesquels un sepsis pouvait être suspecté. Les seuls éléments prédictifs de gravité a posteriori étaient une pression artérielle inférieure ou égale à 10 et/ou une saturation en oxygène inférieure à 92% ou imprenable à l’oxymétrie de pouls. Ceci souligne l’intérêt d’une éducation des régulateurs ciblée sur le diagnostic du sepsis, une évaluation par l’équipe sur place et la mise en œuvre de protocoles de soins ciblés dès l’arrivée des secours.
Pierre Hausfater, urgentiste à la Pitié Salpêtrière, insiste aussi sur la fréquence de la difficulté du diagnostic aux urgences devant des tableaux polymorphes (confusion, douleurs abdominales, insuffisance rénale…). Il souligne l’importance d’avoir à sa disposition des biomarqueurs plus précoces de diagnostic et de pronostic du sepsis que ceux que l’on possède actuellement : la procalcitonine et le lactate.
Vincent Coic, infirmier en réanimation à l’Hôpital Cochin, souligne l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire et organisée de ces patients fragiles. Il insiste sur la prise en charge relationnelle des patients qui sont encore souvent conscients, mais anxieux et inquiets par le nombre de professionnels et de technologies à leur chevet lors de leur admission en réanimation. Il signale qu’il est important de ne pas négliger la surveillance des autres patients lors de ces « coups-de-feu » et d’informer au mieux, dès que possible, la famille du patient admis.
Jean-Paul Mira, réanimateur à l’Hôpital Cochin, remarque que la chaine de soins initiée par le SAMU est déjà très efficace et que le problème majeur dans le retard de prise en charge concerne les patients déjà hospitalisés pour lesquels le personnel hospitalier est souvent mal informé des signes de sepsis. De plus, il s’agit de patients souvent immunodéprimés et colonisés avec des bactéries multirésistantes pour lequel le traitement antibiotique ne sera pas toujours immédiatement efficace.
Au cours de cette table ronde, les besoins exprimés pour mieux prendre en charge ces patients concernent la formation des personnels de la chaine de soins, incluant les personnels hospitaliers, la recherche de biomarqueurs du sepsis plus précoces et plus spécifiques et la constitution d’un registre de ces patients afin de mieux détecter les maillons faibles et l’impact des mesures mises en œuvre.
Du bon usage des antibiotiques et de l’hygiène
Ensuite, Céline Pulcini, Médecin dans le Service de Maladies Infectieuses et Tropicales au CHU de Nancy, souligne d’emblée l’augmentation de la résistance bactérienne qui touche tous les pays en relation directe avec la consommation d’antibiotiques. L’impact existe non seulement pour la personne, mais aussi pour sa famille et l’environnement du fait de la remarquable adaptation des bactéries. La consommation d’antibiotiques a augmenté de 36% dans le monde des années 2000 à 2010 avec une diminution en Europe et aux EU, mais avec une croissance exponentielle ailleurs, alors qu’il n’existe que très peu de nouveaux antibiotiques. En effet, les conséquences de cette résistance sont une surmortalité, une menace réelle à l’utilisation de la chirurgie et des immunosuppresseurs.
D’où un plan d’alerte sur les antibiotiques. Le bon usage est efficace puisque les Pays-Bas et la Suisse qui ont une politique plus avancée sont confrontés à 3 fois moins de résistances bactériennes. Ce plan comprend de multiples recommandations et de mesures restrictives qui visent à éviter les antibiothérapies inutiles (le tiers des prescriptions). Ce qui manque, ce ne sont pas des données scientifiques, mais c’est un fort engagement politique et une prise de conscience internationale. C’est l’objectif de l’alliance contre le développement des bactéries multi-résistantes (ACdeBMR), qui maintient la pression sur l’ensemble des acteurs, y compris les professionnels de santé, les usagers du système de santé et les citoyens.
Didier Pittet, Professeur de médecine et d’épidémiologie hospitalière à l’Université de Genève montre que les infections liées au soin représentent un demi-million de cas par jour dans le monde et induisent 200.000 décès aux EU par an. C’est la 2ème cause de mortalité, alors qu’un programme actif de prévention (avec une infirmière hygiéniste pour 100 lits et un épidémiologiste spécialisé par hôpital) peut en éviter la moitié. Par exemple, concernant les sondes urinaires, on diminue considérablement les infections nosocomiales et la consommation d’antibiotiques si l’on évite les sondages inutiles et on en limite la durée ; cet effet persiste avec le temps si l’on maintient les consignes. Un programme de prévention s’est aussi montré efficace pour les infections sur cathéters, les pneumopathies nosocomiales et les infections postopératoires. En particulier, le lavage des mains avec des solutions alcooliques est la base de cette culture de sécurité qu’ont signée 134 pays. Cela nécessite une action collective, multidisciplinaire et stratégique. Mais dans la pratique, le changement de comportement est difficile, nécessitant parfois l’aide d’un psychologue.
Point sur les biomarqueurs
Guillaume Monneret, responsable du laboratoire d’Immunologie de l’Hôpital E. Herriot à Lyon, a fait le point sur les biomarqueurs que ceux-ci soient à des fins de diagnostic, de suivi de l’efficacité du traitement, de pronostic, de sévérité, de défaillance d’organes ou de statut immunologique. Il a rappelé l’engouement actuel pour les nouvelles données multiples (big data) générées par les approches métabolomiques, protéomiques et transcriptomiques. Il a indiqué non seulement le besoin de nouveaux biomarqueurs précoces mais aussi leur intérêt pour aider à ce qui se présente à l’avenir comme une médecine personnalisée.
Nouvelles pistes thérapeutiques
Sébastien Gibot, réanimateur et Professeur à l’Université de Nancy a rappelé qu’un choc septique survient lorsque la réponse immune initiale, souhaitable et nécessaire à la clairance microbienne, devient excessive et dérégulée. L’intensité de cette réponse (à la fois ‘pro-’ et ‘anti’-inflammatoire), ainsi que sa durée, vont conditionner le pronostic: sa modulation dès la phase initiale semble donc un objectif thérapeutique approprié. Pour autant, de nombreux composés ont été administrés chez les patients septiques avec des résultats décevants: si parfois la cible apparaissait rétrospectivement mauvaise, ces produits semblaient posséder des effets bénéfiques mais uniquement chez certains patients que nos connaissances actuelles empêchent de pouvoir détecter précocement. Malgré cette longue histoire d’échecs cliniques, de nouvelles voies thérapeutiques ciblant la réponse ‘inflammatoire’ sont développées ciblant des boucles d’amplification (HMGB1, TREM1….) ou tentant de ‘reprogrammer’ les cellules myéloïdes (administration de cellules souches mésenchymateuses)
Didier Payen, Professeur et réanimateur à l’Hôpital Lariboisière, a rappelé que lors du sepsis les phases pro-inflammatoires et anti-inflammatoires étaient initialement concomitantes. Il a alors évoqué la nécessité de disposer de biomarqueurs pour apprécier le statut immunologique des patients et a rappelé les évidences d’une immunosuppression chez les patients. A l’aide de plusieurs exemples utilisant l’interféron gamma, il a montré tout l’intérêt de stimuler le système immunitaire des patients. Il a par la suite énuméré les nouvelles voies pouvant également être envisagées comme le GM-CSF, l’IL-7 ou en ciblant le couple PD1 / PDL
Cet évènement a été organisé par un collectif d’acteurs tous concernés par le sepsis et désireux de mettre en commun leurs réflexions :
l’Institut Pasteur, les hôpitaux de l’Île-de-France impliqués dans la recherche clinique (GIRCI), le Groupe Hospitalier Saint-Joseph à Paris, des groupements et associations de patients (CISS- Le Lien), l’Alliance contre le développement des bactéries multi-résistantes ACdeBMR). Il a reçu le parrainage de l’Inserm et le haut patronage du Ministère des Affaires aSociales de la Santé et des Droits des Femmes.
[1] Selon un Sondage Opinion Way réalisé en août 2014
[2] Détails sur le colloque organisé à l’Institut Pasteur : http://b1a.r.mailjet.com/link/xgx7/u74hwi2/7/C6NU4Xv8HrxOMNU-4HJMBQ/aHR0cDovL2pvdXJuZWUtbW9uZGlhbGUtc2Vwc2lzLmNvbS8
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