Rapport annuel 2015 consacré aux droits de l’enfant : « Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles »
A l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre, le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants, son adjointe, rendent public leur rapport annuel sur les droits de l’enfant.
Saisi de multiples réclamations provenant de parents, d’associations ou de professionnels, le Défenseur des droits a voulu consacrer son rapport sur un sujet peu connu et peu traité : les enfants en situation de handicap et pris en charge par les services de la protection de l’enfance.
Sur les 308.000 enfants qui font l’objet d’une mesure de l’aide sociale à l’enfance, 70.000 seraient porteurs de handicap.
Ce sont pourtant des enfants invisibles, exposés à des vulnérabilités accrues et à des dénis de leurs droits.
La Convention internationale des droits de l’enfant, dont le Défenseur des droits contrôle l’application effective, protège l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions qui le concernent. L’article 20-1 dispose en particulier que lorsqu’un enfant ne peut être laissé dans son milieu familial dans son propre intérêt, il a droit à une protection et une aide de l’État. Les enfants handicapés font l’objet de dispositions spécifiques : accès aux soins, droit à l’éducation, notamment, l’article 23 leur reconnaissait le droit à « mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité ».
La Convention relative aux droits des personnes handicapées rappelle le principe de non-discrimination des enfants porteurs de handicap, le respect du principe de développement de l’enfant et de son intérêt supérieur. En outre, la situation de handicap ne peut venir justifier la séparation de l’enfant et des parents, ni empêcher l’accès à une éducation gratuite et obligatoire ou l’accès aux soins.
Ce rapport du Défenseur des droits, au sujet inédit dans le paysage institutionnel, met en exergue la grande hétérogénéité et la grande complexité des situations et les difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées les familles, la fragilisation extrême de ces enfants les exposant tout particulièrement à des dénis de leurs droits : à la santé, à la scolarité, à une vie en famille, à la protection contre la violence sous toutes ses formes…
70 000 enfants seraient confiés à l’aide sociale à l’enfance : des enfants invisibles dans les politiques publiques d’accompagnement du handicap, comme dans celles de la protection de l’enfance, car oubliés des systèmes d’information existants, et donc ni quantifiés ni identifiés.
Des enfants doublement vulnérables, qui devraient bénéficier d’une double attention et d’une double protection, mais qui vont paradoxalement, parce qu’ils se trouvent à l’intersection de politiques publiques distinctes, être les victimes de l’incapacité à dépasser les cloisonnements institutionnels, l’empilement des dispositifs et la multiplicité des acteurs, ainsi que les différences de cultures professionnelles, notamment autour de la place des parents et du travail avec les familles.
Le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants énoncent plusieurs propositions à destination des pouvoirs publics et collectivités territoriales notamment pour faire évoluer les politiques publiques et les pratiques professionnelles. Ils souhaitent que ce rapport, à partir des premières problématiques repérées, fasse l’objet d’une appropriation à tous les niveaux par les institutions et les professionnels.
Les principales propositions
⫸ De nombreux enfants handicapés se trouvent aujourd’hui, en l’absence de réponses adaptées à leurs besoins de compensation, contraints de rester à domicile ou accueillis par défaut dans les structures relevant de la protection de l’enfance, et se voient se voient ainsi privés de certains de leurs droits fondamentaux.
Le Défenseur des droits recommande ainsi :
- la mise en place systématisée de fiches de liaison entre l’ASE et la MDPH pour chaque mineur pris en charge ainsi que la création d’un référent ASE au sein des MDPH, et réciproquement, afin de faciliter le suivi des décisions d’orientation ;
- d’accompagner la création de places en établissements spécialisés du développement d’équipes mobiles, sanitaires et médico-sociales, en appui des structures et des familles d’accueil de l’ASE ;
- de mettre en cohérence les évolutions de l’offre de service relevant tant des départements que des ARS afin d’éviter des ruptures préjudiciables à l’intérêt des enfants.
⫸ Il a été constaté que l’appréciation du danger ou du risque de danger pouvait résulter d’une méconnaissance du handicap, notamment pour les acteurs de l’Education nationale.
Aussi, le Défenseur des droits recommande :
- de sensibiliser les acteurs de l’Education nationale au handicap et aux spécificités d’une prise en charge par le dispositif de protection de l’enfance.
⫸ Si l’entrée dans le dispositif de protection de l’enfance est fondée sur la notion de danger, les spécificités tenant à l’expression des effets du handicap sur l’enfant et sa famille sont insuffisamment pris en compte lors des différentes évaluations.
Par conséquent, le Défenseur des droits préconise :
- d’inclure la question du handicap dans le référentiel national pour l’évaluation des informations préoccupantes, prévu dans le cadre de la proposition de Loi sur la protection de l’enfance ; mettre en place une CRIP unique et pluridisciplinaire dans chaque département ;
- d’encourager le recours à des experts du handicap, notamment au sein de la CRIP et aux différentes étapes d’évaluation par la protection de l’enfance de la situation de l’enfant.
⫸ Les troubles envahissants du développement, au titre desquels les troubles du spectre autistique, restent difficiles à appréhender et appellent des réponses adaptées, non seulement au stade de l’entrée dans le dispositif de protection de l’enfance, mais aussi au cours de la prise en charge.
Par conséquent, le Défenseur des droits préconise :
- que l’ensemble des travailleurs sociaux soit sensibilisé aux troubles du spectre autistique dans le cadre tant des formations initiales que continues ; cette sensibilisation pourrait s’appuyer sur la production d’une grille claire, accessible et conforme aux préconisations de la HAS afin de permettre le repérage et le dépistage des signes de l’autisme destinée aux acteurs de l’enfance (PMI, travailleurs sociaux, Education nationale, etc.) ;
- d’inclure, dans la formation, initiale comme continue, des magistrats des modules de sensibilisation au handicap et, notamment, aux troubles envahissants du développement ;
- de mettre en place un réseau d’experts identifiés et formés en partenariat avec les centres de diagnostic, qui puissent être mobilisés par les différents acteurs concourant à l’évaluation en protection de l’enfance (CRIP, professionnels réalisant des mesures judiciaires d’investigations éducatives, experts judiciaires).
⫸ Les situations pointées dans le rapport mettent en évidence une insuffisance en termes de prévention précoce et de soutien à la parentalité. S’ajoute le fait que les acteurs de la prévention sont nombreux et qu’ils interviennent dans des champs qui ne vont pas forcément se croiser. En outre, la vulnérabilité des familles en cas de survenue d’un handicap est accentuée lorsqu’elles connaissent des fragilités multiples (économiques, sociales,…).
Le Défenseur des droits recommande donc :
- que le diagnostic soit réalisé de manière précoce et que l’annonce du handicap aux parents soit accompagnée d’un soutien au processus d’attachement et d’une prise en charge rapide ;
- de privilégier des mesures diversifiées de soutien précoce à la parentalité et que « l’entretien psychosocial précoce », notamment, soit renforcé afin d’activer des réseaux de prévention et d’anticiper une fragilisation des familles ou la survenance d’un sur-handicap ;
- de proposer à l’ensemble des acteurs concernés par la prise en charge de ces enfants au carrefour de plusieurs dispositifs des formations transversales communes afin de développer une connaissance et une culture partagées au service de l’intérêt supérieur de l’enfant.
⫸ Les difficultés récurrentes de connaissance des profils des enfants suivis en protection de l’enfance sont aggravées en cas de handicap, portant préjudice à l’élaboration de politiques publiques réellement adaptées à leurs besoins.
Le Défenseur des droits recommande :
- que des études épidémiologiques soient menées sur les enfants handicapés en protection de l’enfance, visant, ainsi, à une meilleure connaissance de ce public ;
- que le système de remontées des données relatives à la protection de l’enfance des départements à l’ONED soit mis effectivement en place incluant, notamment, les données liées au handicap.
⫸ Les travaux préparatoires ont permis de mettre en évidence des difficultés tenant au partage de l’information entre professionnels.
Le Défenseur des droits recommande :
- le développement de chartes départementales du partage de l’information nominative dans le champ de la protection de l’enfance, condition déterminante d’une prise en charge efficiente. Cette charte serait signée par l’ensemble des professionnels intervenant auprès de l’enfant dans le cadre de la mission de protection de l’enfance mais aussi dans le cadre de l’accompagnement du handicap. Elle préciserait les contours des informations transmises, les conditions de participation des usagers à leur prise en charge et les modalités d’articulation et de rencontre entre les professionnels des différents secteurs.
⫸ Une fois entré en protection de l’enfance, l’enfant est au cœur d’une pluralité de projets, émanant d’acteurs divers sans partage suffisant autour de ses besoins fondamentaux.
Aussi, le Défenseur des droits recommande :
- conformément à sa décision MDE-2015-103 du 24 avril 2015, portant recommandations générales concernant le projet pour l’enfant, la généralisation du PPE dans l’ensemble des départements en tant qu’outil de référence pour l’ensemble des professionnels, et permettant d’unifier et clarifier les prises en charge multiples (notamment lorsque sont établis les PPS et les contrats d’accueil en établissement) ;
- que le PPE considère en particulier la situation de handicap de l’enfant et ses conséquences sur l’environnement familial.
⫸ Les travaux préparatoires ont mis en évidence toute l’importance de faciliter les relations entre les partenaires de la protection de l’enfance et ceux du handicap, en particulier auprès de l’enfant en situation de vulnérabilités plurielles.
Aussi, le Défenseur des droits préconise :
- la signature de protocoles entre les principaux acteurs intervenant auprès de l’enfant porteur de handicap et pris en charge par l’ASE : au sein même des institutions départementales, entre le département et ses partenaires, entre les partenaires entre eux. En tout état de cause, la signature de protocoles opérationnels entre l’ASE et la MDPH est considérée comme prioritaire ;
- l’animation de réseaux de formations et de stages croisés entre ces acteurs, incluant notamment la Justice et l’Education nationale ;
- d’inciter à la création de structures ou dispositifs expérimentaux croisant les interventions médico-sociales, sociales et sanitaires, en permettant la fongibilité des enveloppes financières au plan local.
⫸ Des difficultés d’accès aux soins pour les enfants pris en charge à l’ASE sont fréquemment repérées qui sont aggravées pour les enfants porteurs de handicap. La dimension « santé » apparaît insuffisamment prise en compte dans l’organisation des services de l’ASE.
Aussi, le Défenseur des droits recommande :
- la désignation d’un « médecin référent protection de l’enfance», désigné au sein des services du département, interlocuteur des médecins libéraux et hospitaliers ;
- la mise en place au sein de l’ASE d’une plateforme médicale afin de garantir l’accès et la continuité des soins pour les enfants faisant l’objet d’une mesure de protection l’enfance.
⫸ La dimension de la scolarité est déterminante pour les enfants relevant de la protection de l’enfance, d’autant plus lorsqu’ils sont en situation de handicap.
Aussi, le Défenseur des droits préconise :
- de renforcer les liens entre l’Education nationale et l’aide sociale à l’enfance de manière à favoriser la remobilisation des enfants autour de projets éducatifs conformes à leurs potentiels et à leur permettre de réussir dans toute la mesure de leurs capacités.
⫸ La sortie du dispositif de protection de l’enfance est en général un moment d’intenses ruptures. Les difficultés rencontrées par les jeunes lors de la fin de leur accompagnement par l’ASE se trouvent singulièrement aggravées en cas de handicap.
Aussi, le Défenseur des droits préconise :
- que des contrats jeunes majeurs soient spécialement conçus pour organiser le passage à la majorité de ces mineurs porteurs de handicaps dont le parcours vers l’autonomie doit être particulièrement préparé, accompagné et soutenu.
> Contacts presse
– Sophie BENARD, Conseillère chargée de la relation avec la presse
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– Laetitia GOT-THEPAULT, Chargée de la mission presse
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