Après sa mission Flash (conclusions remises le 13 septembre 2017) la députée Monique IBORRA a mené une étude de terrain avec la députée Caroline FIAT qui a fait l’objet d’un rapport présenté à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 14 mars. La commission des affaires sociales du Sénat, après de multiples auditions vient à son tour de publier un rapport celui du sénateur Pierre BONNE alors que Pierre RICORDEAU IGAS, a été chargé par la Ministre d’une mission d’expertise sur les conditions de déploiement et les conséquences budgétaires de la réforme.
Après la grève du 30 janvier puis celle du 15 mars appelées par l’ensemble des organisations syndicales et soutenues par l’AD-PA et deux associations de familles, la Ministre a consenti à recevoir une délégation qui lui a présenté les quatre revendications arrêtées unitairement :
- Application du Plan solidarité grand âge ;
- Abrogation de la réforme de la tarification ;
- Arrêt des baisses de dotations induites par la convergence tarifaire ;
- Amélioration de la rémunération des personnels.
Si l’intersyndicale à tenu à saluer « le début du dialogue » avec la Ministre des solidarités et de la santé, elle déplore néanmoins l’absence d’annonces et attend l’ouverture de négociations « concrètes » avec le gouvernement.
Les réponses apportées par la Ministre à la délégation, méritent d’être analysées au regard des propositions faites par les rapports IBORRA/FIAT et BONNE.
Application du plan solidarité grand âge : ratio de 1 agent par résident
A l’intersyndicale la ministre répond : « Ce ratio n’a aucun fondement théorique ou scientifique et il ne peut être considéré comme une norme »
Que dit le Plan solidarité grand âge ?
« Les effectifs, notamment en personnel soignant, restent un problème aigu… les besoins en soins seront pris en compte. Cela permettra d’augmenter significativement le nombre de soignants auprès des personnes âgées (passer d’un ratio moyen de 0,57 pour 1 résident, tous personnels confondus, à 0,65 pour 1 résident).
En outre, « pour les personnes âgées les plus malades et les plus dépendantes, le ratio sera augmenté à 1 professionnel pour 1 résident. »
Comment le ratio a-t-il été déterminé ?
« Dans les établissements pour personnes handicapées, l’effectif est en moyenne d’1 agent pour 1 personne accueillie. Ce ratio est, en revanche, de seulement 1 professionnel pour 2 résidents dans les maisons de retraite. Or les besoins des personnes accueillies sont en réalité très comparables. Il faut remédier à cette situation, en se fixant l’objectif d’une convergence dans les 5 ans entre ces deux types d’établissements. » (Extrait du Plan)
Interrogé par le Canard Enchaîné (« EHPAD de quoi en faire tout un fromage » du 21 mars) Philippe BASà l’époque Ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille, auteur du Plan répond : « c’était le produit d’un an de travail mené avec l’ancien commissariat général au plan… ce qu’on constatait c’est qu’il était anormal de ne pas être au 1 pour 1, on ne versait pas dans l’idéalisme »
Cet objectif devait être atteint en 2011 par un ajustement progressif des effectifs à l’occasion du renouvellement des conventions tripartites.
Le rapport IBORRA/FIAT justifie la nécessité d’augmenter les effectifs
En raison de l’importante évolution du niveau de dépendance des résidents accueillis
(source enquête DREES 2015)
- Age moyen à l’entrée en EHPAD : 85 ans et huit mois (plus de 2 ans depuis 2007) ;
- 38% des résidents avaient plus de 90 ans, contre 26 % en 2007 ;
- La DMS en EHPAD était de deux ans et cinq mois ;
- Un résident d’EHPAD cumule en moyenne 7,9 pathologies ;
- 37 % des résidents souffrent d’au moins une pathologie chronique non stabilisée ;
- 15% des résidents souffrent d’au moins une pathologie aiguë.
- 49 % des résidents souffriraient de syndromes démentiels, pour beaucoup liés à la maladie d’Alzheimer et 35 % souffriraient de « troubles chroniques du comportement.
Et de l’insuffisance des moyens pour répondre aux besoins
(source : données CNSA – 2015) pour 100 places :
- Le taux d’encadrement médian est 61 ETP (62.8 si on tient compte du taux d’occupation de 98% fin 2015) ;
- 10% des EHPAD affichent un taux inférieur à 43,8 ETP et 10 % des EHPAD ont un taux 76,2 ETP (après avoir écarté les extrêmes) ;
- Le taux d’encadrement moyen « au chevet du résident » d’AS/AMP est de seulement 24,5 ETP, pour les IDE il est 6 ETP.
S’appuyant sur une étude du conseil d’analyse économique qui, à l’instar de nombreux pays européens, a déterminé des normes calculées sur la base du nombre d’heures passées auprès de chaque résident, les deux députées font la proposition (n°1) suivante :
« Rendre opposable une norme minimale d’encadrement en personnel « au chevet » (aides-soignants et infirmiers) de 0,6 (soit 60 ETP pour 100 résidents), dans un délai de quatre ans maximum, ce qui revient à doubler le taux d’encadrement actuel. » Et de conclure : « une telle proposition suppose un effort financier ambitieux, qu’elles estiment entre 8 et 10 milliards à terme en fonction de la répartition du recrutement entre aides-soignants et infirmiers…»
Pour le CHFO la proposition des deux députées est positive. Il n’est cependant plus possible de reporter les mesures d’ajustement des effectifs. Eu égard aux coûts de la mesure et aux difficultés de recrutement il conviendrait que l’Etat s’engage sur une montée en charge progressive.
Abrogation de la réforme de la tarification
Si les deux rapports s‘accordent sur la nécessaire interruption de la réforme du forfait dépendance, le rapport BONNE émet les plus grandes réserves quant à la soutenabilité de la nouvelle équation tarifaire soins.
Le rapport BONNE
Une dotation soins revalorisée mais non soutenable à terme
Le rapporteur considère que l’équation tarifaire a entraîné une augmentation des dotations versées pour 85% des EHPAD (reste 15% de perdants !) il alerte néanmoins le gouvernement de l’insoutenabilité à terme, dans un cadre budgétaire contraint, de tenir l’engagement de revaloriser systématiquement le GMPS de chaque établissement à l’occasion de la signature du CPOM puis trois ans après.
Des doutes sur l’usage des financements de soutien à la réforme
Par ailleurs et suite à l’annonce de l’attribution de 430 millions d’euros au titre des mesures nouvelles, au soutien financier à la réforme, sur la période 2017-2021 le rapporteur « émet quelques doutes sur l’usage que le Gouvernement semble vouloir faire des financements de soutien à la réforme. »précisant qu’ils n’entrent pas dans le champ de l’équation tarifaire et sont attribués de façon discrétionnaire aux établissements dont la dotation globale (médicalisée et autonomie) aurait connu une diminution nette après la réforme. Les crédits des financements de soutien représentent 72 millions d’euros sur les 100 millions d’euros pour 2017, et 28 millions d’euros sur les 100 millions d’euros annoncés pour 2018. »
La non pertinence de PATHOS l’outil qui sert à calculer la dotation soins
Selon le rapporteur, le référentiel Pathos qui, sur la base d’observations cliniques individuelles, permet de mesurer le besoin en soins requis dans une population à un moment T donné comporte des biais.
En effet passer de l’individuel au collectif nécessite de mettre en place un indicateur agrégé et pondéré, le Pathos Moyen Pondéré (PMP) qui est la somme de l’ensemble des points de niveaux de soins dans huit postes de soins pondérés par un coefficient variable selon les postes, le tout divisé par l’effectif de l’établissement.
En conséquence, selon le guide d’utilisation Pathos de 2017, un même PMP « peut être une conjugaison très variable des niveaux de soins nécessaires dans les huit postes [de soins] et recouvrir, en matière de besoins et d’organisation, des réalités très différentes » ce qu’illustre l’exemple ci-dessous donné par le sénateur BONNE
Dans le calcul de la dotation globale de soins, substituer au PMP un indicateur statistique susceptible de mieux traduire en ETP les besoins thérapeutiques des résidents.
Enfin le rapporteur propose de suspendre la réforme dans l’attente de la signature des CPOM
Un forfait dépendance qui créé des inégalités territoriales.
Le rapport souligne les écarts constatés dans la fixation du point GIR Départemental :
- 11 onze départements l’ont fixé à moins de 6,5 euros ;
- La très grande majorité l’ont chiffré entre 6,5 et 7,5 euros ;
- 12 l’ont porté à plus de 7,5 euros.
Le Sénateur souligne à quel point la réforme risque de créer « une inégalité territoriale en termes de prise en charge de la dépendance » et ce d’autant que « compte tenu de l’intervention accrue du conseil départemental dans son versement, il fallait aussi intégrer le contexte budgétaire contraint »
Et de conclure « ces différences de pratiques laissent en effet songeur : est-il acceptable qu’une perte d’autonomie de même nature soit plus ou moins bien financée selon le département où elle est prise en charge ? Pour le risque de perte d’autonomie, qui concerne tout de même l’ensemble de la population, votre rapporteur trouve curieux que l’on admette une telle inégalité de couverture. »
Le rapport IBORRA/FIAT : une réforme qui créé de nouveaux déséquilibres !
« La réforme a surtout créé de nouveaux déséquilibres, certains semblent avoir été soulevés dans un rapport de l’IGAS et de l’IGF que les rapporteures n’ont pu se procurer malgré leurs demandes répétées. »
Forfait soins : Les rapporteures considèrent que la réforme, assortie d’un soutien financier important pour les établissements perdants, n’est pas de nature à mettre en difficulté financière les EHPAD.
Elles soulignent en revanche que la nouvelle équation tarifaire du forfait dépendance, qui s’appuie sur un outil (la grille AGGIR) aujourd’hui remis en cause, induit d’importantes réductions des dotations notamment des EHPAD publics qui sont les grands perdants de la réforme.
Enfin comme le sénateur, les deux députées insistent sur le caractère inégalitaire entre départements de la réforme.
Considérant que la réforme de la tarification de la dépendance est le principal obstacle à une évolution du modèle des EHPAD elles formulent la proposition (n°24) « de suspendre la réforme de la tarification de la dépendance ».
Tant les députées IBORRA/FIAT que le sénateur BONNE tiennent à rappeler, que si la réforme du forfait soins a fait l’objet d’un débat au Parlement lors de la discussion de la loi ASV, le forfait dépendance crée par décret après amendement du gouvernement n’a fait l’objet d’aucun débat de la représentation nationale !
Pour le CHFO la Ministre doit entendre les arguments avancés par les deux députés et le sénateur et suspendre la réforme de la tarification dépendance.
La problématique posée par le cofinancement des structures médico-sociales par l’assurance-maladie et le conseil départemental doit faire l’objet d’un débat politique.
Quant au forfait soins, le CHFO restera vigilant sur son évolution qui, dans le cadre d’un ONDAM médico-social contraint, risque d’être rapidement compromise.
Arrêt des baisses de dotations induites par la convergence tarifaire
La Ministre a annoncé début mars la mise en place d’un mécanisme de neutralisation des effets négatifs de la réforme du forfait dépendance sur une période de deux ans sans pour autant expliquer ce délai !
Le rapport BONNE (proposition n°2) préconise quant à lui de séquencer différemment la réforme tarifaire, considérant que la priorité doit être donnée au déploiement des CPOM qui autorisent une souplesse de gestion (porosité des trois sections tarifaires et liberté d’affectation des résultats excédentaires)
Proposition n° 2 : réorienter la réforme tarifaire des Ehpad selon la séquence suivante :
1) Interrompre la mise en oeuvre de la réforme tarifaire en figeant les dotations à l’autonomie sur leur niveau de l’exercice 2016 ;
2) Concentrer l’effort sur la diffusion des Cpom ;
3) Reprendre la réforme tarifaire un fois atteinte une couverture de Cpom suffisante.
Pour le CHFO le mécanisme de neutralisation des baisses induites par la convergence ne constitue qu’une pause (deux ans !). Or, les observations du Sénateur BONNE sur les inégalités territoriales en termes de prise en charge de la dépendance remettent en cause l’équation tarifaire. La réforme du forfait dépendance doit être abrogée !
Le CHFO rappelle son attachement à l’égalité de la prise en charge des résidents sur le territoire.
Amélioration de la rémunération des personnels
Toujours selon l’enquête DREES (2015) 41% des EHPAD déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement notamment sur les emplois d’aides-soignants alors que ce métier fait systématiquement partie des dix métiers les plus recherchés selon l’enquête en besoin de main d’œuvre réalisée par Pôle emploi.
La lourdeur de la charge de travail, l’incompatibilité vie personnelle/vie professionnelle peuvent expliquer le peu d’attractivité du métier d’aide soignante.
Les rapports BONNE et IBORRA/FIAT proposent plusieurs pistes :
- Une responsabilisation accrue du métier d’aide-soignant et un enrichissement de leurs tâches (délégation d’actes d’IDE par la voie de l’habilitation) ;
- Moderniser l’organisation du travail en limitant le plus possible le recours au travail en discontinu ;
- Favoriser les recrutements dans le cadre du dispositif parcours emploi compétences ;
- Elaborer un grand plan national de formation (ce qui implique un investissement des régions) en vue « de mieux valoriser et de mieux prendre en compte la réalité du métier d’aide-soignant.
Pour le CHFO : le recours au dispositif parcours emploi compétences comme solution transitoire est intéressante; il n’est cependant n’est concevable qu’à une triple condition :
- Favoriser la qualification des personnels concernés en vue de leur garantir une insertion durable dans l’emploi ;
- Attribuer aux EHPAD le maximum de l’aide financière prévue (60% du SMIC brut) ;
- Garantir la pérénité du financement des postes via le réajustement progressif des emplois tel que proposé par la mission IBORRA/FIAT ;
Enfin sur ces différents points le CHFO, comme les deux députés, considère en ce qui concerne les AS qu’il est urgent de réfléchir « à une revalorisation de leur statut. »