Les causes de cette amélioration plus rapide que prévue (le déficit serait de 300 millions d’euros au lieu des 2,2 milliards anticipés) ne sont en rien liées au secteur sanitaire, mais à la croissance économique et aux créations d’emplois (+ 253 000 emplois dans le secteur privé en 2017) avec pour effet direct l’augmentation du nombre de cotisations sociales (+3,5 % en 2017). Le chiffre de 2 % de croissance est annoncé en fin d’année 2018, le déficit de la Sécurité sociale était de 27 milliards au plus fort de la crise économique en 2010.
Le secteur sanitaire n’est donc en rien responsable de la sortie du déficit abyssal de la Sécurité sociale, pas plus qu’il n’est responsable du déficit !
Le secteur sanitaire est pourtant, depuis plus de 30 ans, la cible d’une rigueur budgétaire qui l’a déstabilisé jusqu’à sa mise en péril et les professionnels de santé ont dans le même temps été désignés responsables et coupables de la hausse des dépenses de santé et du déséquilibre des comptes de la Sécurité sociale.
La médecine de ville prescrivait trop, l’hôpital coûtait trop cher, les cliniques devaient se restructurer, les laboratoires se regrouper …
Les tarifs des actes ont été bloqués ou leur évolution a été dissociée de l’évolution du coût de la vie, le poids de l’administration n’a cessé d’augmenter et les temps de non-soin se sont allongés, la médecine de ville, accusée de tous les maux, a perdu son attractivité, et à l’impéritie des politiques qui n’ont su adapter le numerus clausus au fait démographique s’est ajoutée l’augmentation du délai d’installation. Face à une politique de médecine de ville désastreuse, la fabrique des déserts venait d’ouvrir, elle n’allait cesser de produire.
De nombreux petits hôpitaux qui maillaient le territoire ont été fermés, la centralisation a été imposée pour toujours plus de rentabilité, le moindre geste, la moindre action ont été protocolisés, procédurisés, normés. L’efficience, la qualité, la rationalisation ont été érigées en maîtres du soin. Le non soignant a pris la main sur le soignant, l’économie a pris la main sur le soin. La déstructuration des équipes au sein des hôpitaux-usines n’a fait que croître, face à la déshumanisation et la dictature du chiffre et du temps.
Les cliniques privées ont subi des baisses tarifaires successives alors que leurs charges ne cessaient d’augmenter face aux obligations de qualité et de sécurité. La reprise d’une grande partie du secteur par des fonds de pension a ainsi été directement ou indirectement organisée, la finance a pris la main sur le soin. Le même processus a été orchestré pour la biologie médicale.
Les assurances complémentaires ont été favorisées, et la Sécurité sociale a été désengagée de pans entiers du champ du soin.
La dissolution du déficit de la Sécurité sociale par la croissance démontre que la rigueur imposée au secteur sanitaire a toujours eu un fondement plus politique, idéologique et dogmatique que réellement économique, puisque sans possibilité de résorption de la crise.
Le retour possible de la croissance au moment où notre secteur sanitaire, notre médecine – puisque la santé est un bien commun – s’effondrent, de l’hôpital aux soins de ville, des urgences de l’hôpital au cabinet du médecin, impose au gouvernement et à la ministre de la Santé de changer totalement de politique.
Pour la première fois depuis plus de trente ans, la France peut relancer sa médecine, par la reconnaissance de ses acteurs. Il n’est plus temps de lier les tarifs et les rémunérations des acteurs de soin à un objectif national des dépenses d’Assurance maladie, qui apparaît sans fondement par rapport à la résolution du déficit de la Sécurité sociale !
Il n’est plus temps d’administrer le soin comme une entreprise et de maintenir les soignants dans un rôle de subordination. Ils sont le réacteur du système, place doit leur être rendue à la définition de ses orientations.
La croissance doit permettre de considérer l’apport des nouvelles technologies autrement que comme des sources d’économies, justifiant par exemple la construction d’une médecine low cost et inégalitaire par des plate-formes commerciales de téléconsultation ou par la constitution de réseaux de soin par des sociétés d’assurances. Les nouvelles technologies doivent êtres abordées pour et par les professions du soin comme un apport d’amélioration des pratiques en termes d’efficience, de confort de pratique et de progrès de la médecine, comme une amélioration du soin du professionnel pour le patient.
Parce qu’il n’est de bonne médecine qu’apaisée et considérée, la croissance doit permettre la résolution de la seule urgence de notre système de santé : la réalisation d’un choc d’attractivité pour les professions du soin, toutes les professions du soin, et les mains qui soignent doivent être ainsi enfin libérées de leurs entraves.
Dr Jérôme Marty
Président UFML-Syndicat