Ci-dessous, le discours de Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, prononcé à l’occasion des Vœux de l’Ordre, le 10 janvier.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, les représentants des corps professionnels, des Ordres médicaux, des structures représentatives professionnelles,
Mesdames et Messieurs,
Chers confrères et chers amis,
Je suis très heureux de vous présenter aujourd’hui les vœux du Conseil national de l’Ordre des médecins. Je tiens à vous remercier de votre présence, qui témoigne des liens importants de l’Ordre avec tous ceux qui au quotidien agissent pour la santé des français.
Ces vœux s’inscrivent dans un contexte que nous connaissons tous et qui est particulier. L’année 2019 s’annonce décisive.
Pour notre pays d’abord, confronté à une situation de malaise et de tensions rarement atteintes à la fin de l’année 2018.
Pour notre système de santé ensuite auquel nous sommes tous attachés et dont nous nous sentons tous co-responsables. En 2019 plus encore que les années précédentes, notre responsabilité commune sera grande. Acteurs de la santé, nous devrons être mobilisés pour une réforme en profondeur de notre système de santé. Celle-ci est urgente, et devra contribuer à renforcer notre cohésion nationale.
Nous le savons, les événements qui ont émaillé la fin de l’année 2018, qui ont marqué l’actualité partout en France, ont démontré avec force, et une nouvelle fois, que la santé est au cœur des préoccupations des Français.
Nos concitoyens expriment le ressenti d’une solidarité nationale mise à mal alors que leur situation, plus que jamais la rend indispensable.
Ils vivent des fractures territoriales qui se creusent. Ils y sont confrontés au quotidien, quand elles les touchent au travers de l’accès aux soins. Or, si notre système de santé ne peut plus répondre aux besoins de tous, partout sur le territoire, si la solidarité n’en est plus le fondement, quel en est le sens aux yeux des Français ?
L’accès aux soins est en effet au cœur de la solidarité nationale. Au cœur de l’égalité entre tous les citoyens. Et c’est logiquement que l’accès aux soins pour tous se retrouve régulièrement dans les revendications qui se sont fait jour en fin d’année.
Cet appel des Français doit être entendu. Il doit nous donner un cap clair si l’on veut réussir l’année qui s’ouvre.
- Il doit être entendu parce que le système de santé est arrivé au terme d’un cycle. Si les acteurs politiques n’en tiennent pas compte, cela constituera le lit de troubles majeurs.
- Il doit être entendu pour répondre à l’inquiétude de nos concitoyens, des usagers sur la qualité et la pérennité de notre système de santé, dont nous nous faisons l’écho depuis plusieurs mois.
- Il doit être entendu pour répondre à l’épuisement des professionnels de santé, qui n’en peuvent plus de porter à bout de bras un système au bord de l’explosion et qui devient un obstacle à leur travail au quotidien.
- Il doit être entendu pour notre hôpital, à qui l’on demande trop, et dont nous recevons tous les jours des témoignages de l’extrême difficulté dans laquelle il se trouve. Et pour ceux qui y travaillent, médecins et professionnels de santé, attachés au service public, mais qui y exercent sous une pression permanente et qui ont le sentiment de ne pas recevoir suffisamment de considération de la nation.
- Il doit être entendu pour répondre à l’exaspération des acteurs locaux, des élus locaux, dont on a pu saisir à quel point ils désirent agir avec de véritables moyens, avec les mains véritablement libres, pour mettre en œuvre une démocratie sanitaire qui reste aujourd’hui une vaine incantation.
Vous le savez, les mois à venir seront marqués par les discussions autour du projet de loi « Ma santé 2022. » En septembre, après le discours du président de la République annonçant la stratégie de transformation du système de santé, l’Ordre avait exprimé sa satisfaction : les médecins avaient été entendus.
L’Ordre avait cependant appelé à faire preuve de vigilance, collectivement, pour que ces orientations positives trouvent une traduction dans le projet de loi à venir.
Cependant, à quelques semaines de sa présentation en Conseil des ministres, notre inquiétude est réelle.
Comme d’autres acteurs, nous craignons que l’ambition réformatrice affichée politiquement ne laisse la place à un débat technico-administratif.
Nous ne voulons pas croire que la réforme politique annoncée par le Président, portée par la ministre, laisse place, par l’absence de participation directe et avec, semble-t-il une place majeure à nouveau à des habilitations à légiférer par ordonnances, à une succession de textes normatifs administratifs. Nous ne voulons pas croire que cette réforme qui devait être conçue en partant des besoins des Français, ne soit finalement qu’un simple empilement de normes nouvelles, asphyxiant davantage les professionnels de santé et le système de santé.
Nous ne voulons surtout pas accepter que la prise de conscience de l’urgence que nous avons contribuée à porter, laisse place petit à petit à l’annonce repoussée de simples priorités.
Nous avons, comme l’ensemble des acteurs de la santé, pleinement pris part aux nombreuses réunions de groupe, comités, rapports, organisés par la ministre de la Santé depuis de nombreux mois. Nous y avons sans relâche porté la voix de notre profession. Nous sommes prêts à la porter, demain, dans le Grand débat national annoncé par le Gouvernement.
Ces réflexions préalables ont été réelles, mais trop souvent limitées à des réunions techniques. Les échanges étaient ouverts, mais restreints. Ce n’est pas de l’organisation du système dont il a été débattu, de ses objectifs, de ses principes, mais simplement de son fonctionnement.
Et alors qu’il faut passer de la concertation à sa traduction concrète, les acteurs de terrain ne sont à ce jour pas associés à la rédaction du projet de loi, sauf à envoyer des contributions écrites dont le devenir est incertain, nous ne nous sentons pas associés à ce projet, qui est déjà pour partie écrit.
Nous craignons d’en voir un signe dans le recours important aux ordonnances. Nous attendons un véritable débat législatif nous sommes persuadés qu’un débat peut aboutir à de belles fins. Et qui, comme trop souvent quand l’exécutif recourt à l’ordonnance, porte en son sein même les graines de contentieux à venir.
Cela est à l’opposé de ce qu’attendent les professionnels de santé, comme les Français plus largement.
Notre volonté de participer à la construction de la loi qui portera la réforme est réelle. Notre volonté de participer à la sortie de crise pour notre système de santé, que nous avons été parmi les premiers à mettre en lumière, l’est tout autant. Mais, comme d’autres acteurs, nous avons le sentiment que l’on nous refuse ce rôle.
Pourtant tous les acteurs du monde de la santé veulent aujourd’hui assurer leur responsabilité de corps intermédiaires.
Nous ne voulons pas retrouver le modus operandi à l’œuvre pour la rédaction des lois HPST et de modernisation du système de santé.
A l’époque aussi, souvenez-vous en, des concertations larges avaient été organisées.
- Les Etats Généraux de l’Organisation des Soins, par Madame Bachelot.
- La Grande conférence de santé, par Madame Touraine.
Et pourtant, à l’époque aussi, la loi avait été écrite sans les acteurs de terrain, ceux qui en subissent l’application au quotidien, et en premier lieu les médecins. Ils sont pourtant en première ligne ! Et pour vivre une réforme positivement ils doivent comme tous les Français en partager l’élaboration.
Allons-nous, en 2019, assister aux mêmes erreurs que sous les Gouvernements précédents ? Cela serait terrible.
- Il serait terrible que ce quinquennat soit un quinquennat perdu pour la santé.
- Il serait terrible pour la ministre, dont l’approche a toujours semblé être marquée par l’écoute et l’ouverture, qui a bénéficié d’une confiance affichée des corps intermédiaires du monde de la santé, de commettre les mêmes erreurs que ses prédécesseurs. Terrible que le texte annoncé marque une simple accélération des lois précédentes, alors que nous avons aujourd’hui besoin d’une rupture !
- Cela serait terrible pour ce Gouvernement, élu sur une promesse de renouvellement et de transformation, qu’elle s’éloigne au fur et à mesure que les erreurs du passé semblent se répéter.
- Mais, avant tout, cela serait terrible pour les professionnels de santé et pour les Français qu’ils servent au quotidien.
L’échec nous est encore moins permis car cette fois les diagnostics et les objectifs à poursuivre sont partagés par tous les acteurs, et de manière très lucide par la ministre de la Santé elle-même.
Tous sont d’accord pour souligner l’importance de libérer les énergies à l’œuvre dans nos territoires, et la nécessité de mettre en œuvre une vraie démocratie territoriale de santé.
Tous reconnaissent l’absolue nécessité de rendre du temps médical aux médecins, dont le travail est obéré par des tâches administratives qui s’empilent comme autant de contraintes.
Tous constatent l’urgence de décloisonner la coopération entre la ville et l’hôpital et entre les professionnels de santé.
Enfin, tous admettent l’importance de mieux lier la formation aux besoins des territoires, condition préalable à l’avènement d’un système de santé régénéré.
Dans ces circonstances, échouer serait un gâchis immense.
Il faut au contraire que la réforme qui sera menée en 2019 soit, enfin, une véritable réforme.
Et je veux aujourd’hui réaffirmer ce qui est pour nous le cap à tenir pour que les annonces du Président de la République à l’automne ne soient pas qu’un lointain souvenir une fois le printemps venu.
Car la réforme annoncée peut encore, aujourd’hui, peut encore aujourd’hui réussir, en fonction des choix qui seront faits dans les jours à venir. Il faudra faire des choix forts.
Des choix forts, des choix politiques pour une organisation efficiente des soins dans les territoires. Pour qu’enfin des initiatives utiles, portées par des professionnels volontaires au service de leurs patients, ne soient plus sacrifiées au nom de normes administratives préétablies et appliquées aveuglément sur le territoire. Il ne faut pas, par exemple, que les CPTS excluent, mais bien au contraire qu’elles irriguent tout un territoire, rassemblent, au-delà des professionnels libéraux, tous les acteurs de proximité et ne pas ajouter des normes d’inclusion, d’exclusion ou des normes rigides de coopération inter-secteurs aux difficultés déjà existantes.
Imaginer à cet égard d’accentuer encore le rôle des CHU et la concentration hospitalière au sein des GHT pour fonder 13 grandes Assistances Publiques serait une erreur. Je suis un généraliste de Seine-Saint-Denis et je le dis clairement et en toute connaissance de cause : si l’AP-HP était un acteur de la proximité, simplificateur de l’accès aux soins et du parcours de soins, comme médecin généraliste je le saurais !
Des choix forts, des choix politiquespour que la démocratie sanitaire cesse d’être une simple formule, un refrain. Il faut qu’elle devienne une réalité pour que tous les acteurs locaux puissent définir eux-mêmes le périmètre des territoires de santé et se saisir de leur gouvernance. Il faut faire confiance aux acteurs locaux, appuyer les initiatives, faciliter l’émergence d’un rôle nouveau pour les ARS comme animateur de la démocratie sanitaire dans les territoires.
Des choix forts, des choix politiques, pour réaffirmer le principe de solidarité nationale qui préside à la couverture maladie en France depuis l’ordonnance de 1945. Les Français comme les médecins ne tolèreront pas que les nouvelles technologies ou des normes de plus en plus contraignantes puissent être un cheval de Troie débouchant, à terme, sournoisement, par manque de courage et de vision, sur un système à deux vitesses dont la solidarité serait la première victime. Les Français ont besoin de retrouver confiance dans cette solidarité.
Des choix forts, des choix politiquespour que les médecins retrouvent du temps médical. Pour qu’ils exercent le métier pour lequel ils sont formés. Cela ne peut rimer avec une amputation irréfléchie et opportuniste du contenu de métier de médecin.
Retrouver du temps médical, ce n’est pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. Cela doit au contraire vouloir dire la sanctuarisation du temps consacré par chaque médecin, libéral ou hospitalier, à l’exercice de son métier, aux côtés d’autres professionnels de santé.
Mais nous l’avons toujours dit et je le répète ici : le médecin est, et restera, le cœur de l’équipe de soins. Il en sera toujours le pivot, le coordinateur. Nous nous opposerons à toute volonté d’aller à l’encontre de cette réalité. Le contenu et le périmètre de chaque métier de santé doivent être lisibles, les coopérations et compétences partagées par les professionnels compréhensibles pour l’usager.
Des choix forts, des choix d’avenirpour intégrer enfin pleinement la formation à la réforme de notre système de santé. Il faut, qu’à l’instar d’autres professions et études correspondantes, les futurs médecins soient précocement immergés dans la réalité des exercices au-delà de l’hôpital. Sans cette inclusion précoce toute réforme de notre système de santé sera un échec à court, moyen et long terme.
À l’inverse de la tendance actuelle, pour que la carrière des médecins en exercice puisse plus facilement évoluer, au service des patients, il faut arrêter l’hyper filiarisation des carrières qui enferme plus ou moins définitivement l’étudiant dans son diplôme. Il faut favoriser et faciliter les changements de spécialités. Il faut instaurer une recertification, pour que l’expérience du médecin, la compétence acquise, soit un facteur de valorisation et d’accompagnement individuel professionnel.
Si cette vision politique est au rendez-vous, nous poursuivrons notre engagement pour que la réforme réussisse. Si cette réforme est à la hauteur de nos ambitions collectives, les médecins en seront les premiers acteurs au quotidien.
J’ai dit notre engagement plein et entier pour la réussite d’une réforme attendue par les médecins. Depuis plusieurs années, l’Ordre des médecins s’est inscrit, pour la faire advenir, dans une démarche d’écoute et de dialogue avec tous les acteurs de la santé.
C’est cette démarche qui a prévalu à la Grande consultation, en 2015 et aux propositions qui ont irrigué la réflexion de tous les acteurs, et notamment du Gouvernement.
Cette démarche, nous la renouvellerons en invitant ici-même, le 12 février, les représentants des médecins et les corps intermédiaires de la santé, pour débattre publiquement de la loi à venir et de sa mise en œuvre.
Nous voulons que le débat réaffirme la place des corps intermédiaires du monde de la santé. Nous voulons que chacun puisse exprimer ses espoirs, ses attentes des propositions de ses mandants par rapport au projet de loi en ce début d’année si crucial. Nous souhaitons que ce rendez-vous soit une contribution versée au grand débat national. Nous avons choisi d’intituler ce débat « Ma santé 2022 : de la parole aux actes ! » Car nous avons maintenant besoin d’actes forts.
L’Ordre des médecins est aujourd’hui pleinement légitime pour être cet acteur de dialogue, pour affirmer sa place au cœur du débat. Car l’Ordre se renouvelle, et n’a de cesse de se renforcer, pour assumer le rôle qui est le sien au cœur du système de santé.
Nous ne sommes pas un service administratif et quelle que soit la volonté de ceux qui aimeraient nous imposer les normes de fonctionnement administratif, nous sommes des élus médecins et nous le resterons et garantirons l’indépendance, la transparence et l’autonomie tout en restant vigilants dans l’exécution de la mission de service public qui est la nôtre. Nous continuerons d’engager l’Ordre dans l’avenir, en défendant les valeurs fondamentales liées à notre profession si particulière.
Car, rappelons-le une ultime fois, nous parlons au nom de la profession et ce dans toute sa variété d’exercice.
Remettre en cause cette organisation creuserait encore le fossé entre les médecins et leurs représentants politiques.
Il nous faut de notre côté travailler pour relever un défi important. Ce sera le cap des trois ans à venir : poursuivre et accélérer la modernisation de l’Ordre des médecins au cœur d’un système de santé régénéré.
Le temps politique doit aujourd’hui primer. Et je dis à Madame la ministre qu’elle a aujourd’hui la responsabilité d’être notre interlocutrice politique. Nous userons et abuserons de cette capacité d’interpellation.
Permettez-moi de remercier et de former des vœux à tous nos partenaires du monde politique et de la santé pour que le dialogue demeure ce qui anime notre système de santé.
Permettez-moi de dire au monde politique : dialoguez, anticipez, soyez courageux, mais en écoutant et en co-construisant l’avenir.
Je veux enfin terminer en réaffirmant devant vous que, pour réussir, la réforme que nous attendons devra être fondée sur les médecins, les professionnels de santé, les usagers.
Chaque jour, par leur engagement auprès de nos concitoyens, par leur travail dans tous les territoires de la République, médecins, professionnels de santé sont des acteurs centraux du lien social. Ils participent pleinement à la solidarité nationale.
Il nous faut réussir, en 2019, à leur donner enfin les moyens d’exercer, dans un mode d’organisation plus souple, plus à l’écoute du terrain, plus proche des attentes.
Il nous faut réussir.
Pour les médecins. Pour préserver leur rôle fondamental au service de la cohésion nationale. Pour les patients afin de leur garantir l’accès aux soins et la qualité des soins.
Bonne année à tous.