Trois exemples récents invitent à rappeler les conditions techniques, éthiques et d’information des patients, qui permettent à une avancée chirurgicale, parfois spectaculaire, de prendre place comme une modalité de progrès en thérapeutique, en l’état actuel des connaissances et des alternatives.
En novembre 2020, une transplantation pulmonaire a été effectuée à l’hôpital Foch de Suresnes chez un malade ayant une insuffisance respiratoire terminale due à une atteinte par le SARS-CoV2. La transplantation, dans cette indication exceptionnelle, a été réalisée chez plusieurs dizaines de malades dans le monde (21 cas aux USA), soit pour traiter le Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu (SDRA) soit, plus souvent, pour traiter les séquelles fibrosantes de malades dépendants d’une assistance circulatoire ou respiratoire extracorporelle. Les indications de ce traitement, qui pourrait susciter des espoirs inconsidérés dans un contexte de limitation des greffons, restent évolutives. Elles doivent tenir compte de la gravité d’une transplantation dans un contexte d’infection virale persistante et de la possibilité de régression des lésions fibrosantes.
Le 13/01/2021, l’allogreffe bilatérale de membre supérieur intéressant l’épaule, réalisée à l’hôpital Edouard Herriot de Lyon, déclina de multiples façons le registre de l’exceptionnel : a) le patient âgé de 48 ans, ayant perdu ses deux membres supérieurs à la suite d’un accident d’électrocution il y a 20 ans, ayant eu une transplantation du foie pour insuffisance hépatique aigue en 2002, et donc soumis à une bithérapie immunosuppressive bien tolérée ; b) la logistique de l’intervention (15 heures et près de 50 soignants, dont 15 chirurgiens et 5 anesthésistes) réalisée sous perfusion extra-rénale afin d’éviter le syndrome d’ischémie-reperfusion de la masse tissulaire transplantée.
La technique consista en un transfert « classique » au niveau du bras droit (permise par la persistance d’un segment d’humérus proximal et une excellente ceinture scapulaire) et une stabilisation du membre supérieur gauche par suspension de l’extrémité proximale de l’humérus à l’omoplate en l’absence de moignon d’humérus. Malgré toutes ces difficultés, les suites furent simples.
Parvenu à développer de formidables capacités compensatrices, le patient avait été informé de l’absence de garantie de récupération fonctionnelle en dehors d’une possible flexion des coudes, de l’absence probable de récupération sensitivo-motrice des mains et, en cas de détransplantation, de la tentative de conserver des moignons plus longs pour une meilleure adaptation des appareillages. Cette intervention hors norme permit cependant de changer radicalement les capacités du patient et surtout de restaurer l’image de son intégrité corporelle. Dans l’avenir, les progrès des appareillages contrôlés par le cerveau pourraient permettre d’éviter ce type de transplantation.
Le 12/02/2021, la naissance à l’hôpital Foch de Suresnes d’un enfant après une transplantation utérine effectuée en mars 2019 a concrétisé, de façon heureuse, la réponse apportée au désir de maternité de femmes ayant une absence d’utérus avec ovaires fonctionnels, soit congénitale (100 à 200 cas par an en France), soit acquise (malformation utérine, adénomyose, hystérectomie d’hémostase ou pour cancer). Pour les femmes ne souhaitant pas renoncer à avoir un enfant, la transplantation utérine est alors en balance avec l’adoption, engagement de générosité et d’abnégation face à de nombreux obstacles (faible nombre d’enfant à adopter, délais de près de 18 mois, enquêtes et formalités longues, multiples incertitudes), et avec la gestation pour autrui (GPA), interdite en France mais pas dans des pays proches (environ 400 enfants français nés chaque année d’une GPA réalisée à l’étranger).
Les conditions de la transplantation utérine, développée avec succès en Suède à partir de 2015, ont fait l’objet d’un rapport de l’Académie (1) et ont été précisées récemment à partir des 45 premiers cas publiés (2). Aux difficultés techniques du prélèvement du greffon et de son implantation chez la receveuse s’ajoutent un prélèvement ovocytaire, la réimplantation de l’embryon, une césarienne et une hystérectomie secondaire après une ou deux grossesses. Le questionnement éthique doit tenir compte aussi des incertitudes sur les effets à long terme des immunosuppresseurs pour la mère et l’enfant et sur le développement de l’enfant dans un utérus greffé provenant, le plus souvent, d’une parente proche mais, dans certains cas, d’une donneuse anonyme.
L’Académie Nationale de Médecine, dans son rôle de soutien et de diffusion des progrès de la médecine :
– se félicite de la contribution remarquable des équipes médico-chirurgicales françaises au développement d’alternatives thérapeutiques dans des situations médicales extrêmes ;
– souligne que le côté spectaculaire de ces défis techniques et organisationnels ne doit pas faire oublier que leur indication reste rare et correspond à des cas rigoureusement sélectionnés, et ne peut dispenser, ni d’une évaluation objective des résultats à distance, ni de la poursuite de la recherche de solutions alternatives ;
– rappelle que la médiatisation de ces événements, bien qu’autorisée récemment par le Code de la santé publique, impose la prudence, du fait de la dimension humaine en général très douloureuse qui s’y rattache ;
– recommande la poursuite de la réflexion éthique et le soutien, y compris financier, de la recherche médicale pour l’application de thérapeutiques d’exception dans des situations médicales sans solution traditionnelle ou novatrice indiscutable.
Consulter le site de l’Académie nationale de Médecine
1) Rapport de l’Académie Nationale de Médecine (présenté par R. Henrion et J. Milliez). Bull Acad Natl Med 2015; 199, n°6 :921-942.
2) B.P. Jones et al. Human uterine transplantation: a review of outcomes from the first 45 cases. BJOG 2019; 127:1310-1319.
CONTACT PRESSE : Virginie Gustin – virginie.gustin@academie-medecine.fr