L’idée a l’air simple et efficace: puisque les déserts médicaux progressent faute d’installation de médecins, formons plus de médecins, des installations ne manqueront pas d’advenir et les déserts se repeupleront. Ce n’est évidemment pas si simple.
La France compte beaucoup de médecins (215.539 médecins actifs). Parmi eux, beaucoup de médecins généralistes qui sont justement les médecins qui font défaut dans les déserts médicaux.
Pour autant, la moitié des médecins généralistes formés (c’est-à-dire des détenteurs du diplôme de médecine générale) n’exerce pas la médecine générale. Et seul un généraliste sur dix sortant actuellement de formation s’installe en libéral. Ces installations ont baissé de 10% en quelques années pour les médecins généralistes et de bien davantage dans les zones difficiles: c’est ce mécanisme de reflux qui vide des quartiers, des communes, des cantons et qui peut mettre le premier cabinet médical jusqu’à cinquante kilomètres de distance.
Que font donc ceux qui ne s’installent pas en libéral?
C’est là un des (nombreux) paradoxes de notre système de santé. Ceux qui s’émeuvent de la progression des déserts médicaux sont les premiers à créer, par centaines, des postes de médecins salariés: pouvoirs publics et élus locaux offrent des postes de médecins salariés à des conditions matérielles nettement plus avantageuses que l’exercice libéral des médecins généralistes.
Meilleures rémunérations, meilleure protection sociale, moindres charges de travail, « il faudrait être fou pour dépenser plus… »
Seul l’attrait de l’exercice quotidien de la médecine générale explique le maintien en activité des irréductibles médecins généralistes notamment dans les zones difficiles. Le développement sans précédent du cumul activité-retraite vient à cet égard témoigner de l’attachement des médecins généralistes libéraux à leurs malades.
Deux catégories de médecins salariés sont ensuite à considérer: ceux qui restent dans le soin et ceux qui en sortent.
Ceux qui sortent du soin sont embauchés dans des agences, organismes obligatoires ou complémentaires, collectivités locales ou EPHAD*. Pour ce qui les concerne, le débat porte sur la nécessaire compensation de ces embauches à la collectivité nationale qui fait l’effort de financer la formation de médecins pour apporter des soins à la population.
L’embauche de médecins pour des postes salariés non-soignants doit être assortie d’une compensation à la collectivité nationale qui pourrait venir alimenter, par exemple, un fonds d’intervention à destination des déserts médicaux.
Les autres vont pour beaucoup dans des établissements de soins.
Le basculement continu de l’activité de soin de l’ambulatoire vers les établissements contribue à maintenir notre pays en tête des dépenses de santé hospitalières dans le monde, alimente les déficits des dépenses de santé et rend nécessaire des embauches de médecins qui, mécaniquement, ne se trouvent plus dans le libéral.
Oui mais le lien avec le numerus clausus dans tout ça…?
La proposition d’augmenter le numérus clausus pour répondre au manque actuel de médecins généralistes méconnait qu’il faut dix ans pour former un médecin généraliste et ne prend pas en compte le fait que si, peu de généralistes parmi ceux qui sont formés s’installent en libéral, ils le font après plusieurs années de remplacements. Concrètement, augmenter le numérus clausus c’est disposer d’éventuels médecins généralistes disponibles dans 12 à 15 ans au mieux.
Dans le même temps, le nombre de postes de médecins généralistes salariés continue à augmenter ce qui aspire littéralement la plus grande partie des jeunes médecins généralistes séduits par des revenus nets plus élevés, le bénéfice d’une protection sociale et moins de contraintes dans l’exercice quotidien. A titre d’illustration, on ne dénombre pas moins de 12.000 postes de médecins budgétés et non pourvus uniquement dans l’hôpital public.
Au final, l’augmentation du numerus clausus augmente le nombre de médecins formés mais pas le nombre de médecins généralistes dans les déserts médicaux.
Et alors, on fait quoi?
Au fil des plans de lutte contre les déserts médicaux, les mêmes mesures sont annoncées sans que l’évaluation des annonces précédentes ne soit réalisée: augmentation des maisons de santé et des contrats de professionnels aidés financièrement à s’installer dans les déserts médicaux, etc.
Les maisons de santé, portées à bout de bras par les 3 à 5% de professionnels de santé qui les utilisent, sont une réponse intéressante dans certaines zones mais ne peuvent être le modèle unique pour la santé de demain d’autant qu’elles ne bénéficient pas d’un soutien financier pérenne.
Les contrats de médecins généralistes aidés financièrement à s’installer dans les déserts médicaux ne séduisent pas plus les jeunes médecins que l’installation dans les conditions actuelles. Le problème est plus profond que le seul complément financier mensuel proposé. A tel point que ces contrats aidés ne sont pas tous couverts et certains sont finalement proposés à des médecins spécialistes ou à des dentistes.
Ces professionnels sont sans doute utiles mais le besoin crucial n’en demeure pas moins pour organiser les soins de faire revenir des médecins généralistes dans les déserts médicaux. Ce qui apparaît comme une nécessité aujourd’hui, c’est de redonner du sens à l’exercice de la médecine générale. Donner envie aux jeunes médecins généralistes d’exercer la médecine générale n’est pas une question d’augmentation ou de dépassements du tarif des actes. Il est absolument essentiel de valoriser l’exercice quotidien, cesser de contourner les généralistes, s’appuyer sur les décisions médicales des médecins généralistes et doter les médecins généralistes pour organiser le suivi au quotidien des malades chroniques toujours plus nombreux, tout comme pour le maintien à domicile des personnes âgées en coordination étroite avec les pharmaciens, les infirmières, les biologistes et les masseurs-kinésithérapeutes d’un même territoire.
La nouvelle coordination entre l’équipe de soin de ville autour du médecin généraliste et de l’équipe de soin hospitalière est la clé d’un rééquilibrage des activités de soins et des suivis des parcours de santé.
Cet équilibre redonnera du sens à l’exercice quotidien des médecins généralistes et séduira les jeunes médecins généralistes en leur offrant un exercice quotidien conforme à leur haut niveau de formation actuelle. C’est à partir de ce rééquilibrage que pourront s’établir les négociations des moyens, forfaits financiers, protection sociale, rémunération des coordinations, etc.
Notre pays est en crise, l’effort collectif de la sécurité sociale doit porter sur les médecins généralistes des zones difficiles et la garantie de l’accès aux soins des malades qui en ont besoin.
La question réelle des déserts médicaux n’est pas de prendre des mesures ponctuelles mais de définir les médecins dont la population française a besoin en premier recours. Et de créer le cadre d’exercice qui redonne sens à leur travail quotidien puis de leur donner les moyens de soigner les malades avec leurs collègues des soins primaires au premier rang desquelles les infirmières, pharmaciens, biologistes, masseurs-kinésithérapeutes.
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