Réuni ce 28 février, le conseil d’administration de l’UNCCAS a acté la poursuite de sa mobilisation aux côtés des CCAS gestionnaires d’EHPAD. Au-delà de l’impact de la réforme de la tarification, l’UNCCAS avait déjà sensibilisé les parlementaires sur les spécificités et difficultés rencontrées par le secteur public territorial.
L’UNCCAS échangera également avec l’inspecteur général des affaires sociales chargé par Agnès Buzyn d’une mission de médiation pour étudier les conditions de mise en œuvre de la réforme ; mission qui alimentera le « chantier de la dépendance » que la ministre a dit récemment vouloir rouvrir.
Depuis le 1er janvier 2017, une réforme de la tarification des EHPAD entraînant une convergence tarifaire préjudiciable principalement au secteur public, est venue accentuer les difficultés des CCAS gestionnaires.
Les grèves des personnels engagées le 30 janvier 2018 à l’appel des organisations syndicales en faveur de l’augmentation des effectifs et l’amélioration de la prise en charge des résidents (avec l’objectif d’un personnel pour un résident contre environ 0,7 aujourd’hui) s’inscrit dans ce contexte.
QUELQUES CHIFFRES
- Les CCAS gèrent environ 10% des EHPAD (8% des places). Si les CCAS des grandes villes en gèrent généralement plusieurs (ex. Nantes et Clermont-Ferrand en gèrent chacun 6, Tours en gère 4, etc.), près de 40 % de ces établissements sont néanmoins dans des communes de moins de 10 000 habitants.
- Le public territorial est plutôt présent dans les EHPAD de 60 places et moins(au national, 60% des EHPAD comptent entre 60 et 99 places)
- Tous les EHPAD publics sont habilités à l’aide sociale (contre 43% des EHPAD privés commerciaux)
- Le taux d’encadrement global en public territorial (tout personnel) est à 65 pour 100 places
- Le prix d’hébergement médian par jour dans un CCAS est de 53 € (82 € pour le privé commercial ; 60 € pour le privé non lucratif), soit environ 1630 €/mois.
- Comparativement à des EHPAD d’autres statuts, le salaire brut chargé d’un infirmier en EHPAD de CCAS est plus bas (48 000 €/an contre plus de 51000€ pour les autres EHPAD), de même pour les personnels paramédicaux, les médecins, un peu moins pour les auxiliaires de soins et AMP.
- LA CONVERGENCE TARIFAIRE A ACCENTUE LES DIFFICULTES RENCONTREES SUR LE TERRAIN PAR LES GESTIONNAIRES
Les difficultés d’ores et déjà rencontrées par les CCAS gestionnaires d’EHPAD
- Une pénurie de personnels, principalement infirmiers et aides-soignants, sans parler des professions paramédicales (pour lesquels s’ajoutent au-delà de l’octroi d’effectif la difficulté voire l’impossibilité de recruter)
- La « double peine » de la fonction publique territoriale : le passage obligé d’un concours mais pas de formation CNFPT adaptées, auxquelles s’ajoutent des incertitudes juridiques liées aux remplacements, un manque d’attractivité du secteur et des métiers, une lourdeur des procédures administratives liées aux inaptitudes totales ou partielles…
- De nombreuses conséquences : une importante usure professionnelle, de l’absentéisme, un impact sur la qualité, etc.
La réforme de la tarification des EHPAD applicable depuis le 1er janvier 2017 comporte plusieurs volets :
- le passage à un financement forfaitaire des soins et de la dépendance
- la fin des conventions tripartites au profit des CPOM dont la montée en charge doit se faire sur 5 ans (contractualisation avec les départements)
- une réforme des règles budgétaires et comptables, avec notamment la mise en place d’un état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD).
Le passage au forfait dépendance
Jusqu’ici, le budget était négocié par établissement avec le conseil départemental. Il tenait compte de la dépendance des résidents, de la localisation, de la taille, de l’architecture, des contextes particuliers de chaque structure, des règles applicables en matière de statuts entre les établissements…
Désormais, le budget dépendance est calculé automatiquement, pour un an, sur la base d’une formule qui exclut totalement les critères antérieurement pris en compte. Les conseils départementaux sont donc obligés de ventiler cette enveloppe en fonction d’un point départemental unique pour tous les établissements de leur territoire tous statuts confondus, ce qui implique une importante ponction de l’enveloppe destinée aux structures publiques.
La convergence tarifaire doit se faire sur 7 ans à compter de 2017. Suite à l’entrée en vigueur de la réforme, les CCAS gestionnaires ont reçu en avril-mai 2017 les arrêtés fixant les tarifs journaliers dépendance et le forfait dépendance versés par les départements (applicables au 1er mai 2017)… et ont alerté l’UNCCAS.
L’impact sur les CCAS et les sources d’inquiétudes
Un besoin de reconnaissance des spécificités du service public dans le paysage de l’hébergement
Les CCAS ont une vocation sociale et de solidarité : ils accueillent tous types de publics ; les services d’hébergement qu’ils proposent sont liés à leur mission de service public et complètent bien souvent un panel d’autres services, dans une logique de prise en charge globale.
Il est par exemple fréquent qu’un CCAS gère 4 ou 5 résidences autonomie, un ou 2 EHPAD (lesquels peuvent abriter des unités Alzheimer, des accueils de jour, des Pôles d’activité et de soins adaptés pour les personnes souffrant de troubles neurodégénératifs légers), des restaurants municipaux pour seniors, des services à domicile, une offre de portage de repas…
Ils ont une ont mission fondamentale d’accessibilité financière, dans un contexte où la problématique des restes à charge reste prégnante. Encourager la disparition des EHPAD publics remet également en cause le principe de libre choix des personnes.
Les EHPAD des CCAS hébergent des personnes pouvant présenter de multiples difficultés sociales, des pathologies psychiatriques, des problématiques liées à l’isolement, pour lesquelles le suivi administratif peut s’avérer complexe… ce qui nécessite une attention particulière et des personnels formés.
L’impact financier
Bien que certains gestionnaires bénéficient d’une convergence positive, la majeure partie des EHPAD publics sont confrontés à une convergence négative avec une volumétrie financière beaucoup plus importante que celle des structures bénéficiant d’un nivellement vers le haut.
A Clermont-Ferrand, la perte se chiffre à 375 000 € en 2017 pour les 6 EHPAD gérés par le CCAS.
Dans le Tarn, sur les 13 établissements ayant diagnostiqué l’impact de la convergence, 10 EHPAD sont en convergence négative contre 3 en convergence positive.
Les inquiétudes en termes de personnels
Dans un établissement public, lorsque le budget dépendance baisse, les pertes ne sauraient être compensées par l’augmentation du tarif hébergement, les personnes accompagnées et leurs familles ne pouvant faire face à l’augmentation du reste à charge.
D’où, potentiellement une seule alternative… des non remplacements voire des licenciements. Or, l’un des atouts du service public de proximité est aussi de proposer des emplois de proximité non délocalisables.
Outre les effets négatifs en termes de qualité de service, la réforme risque donc d’avoir un impact sur le dynamisme et l’attractivité des territoires.
Le CCAS de Clermont-Ferrand estime à l’équivalent de 11 équivalents temps plein (ETP)la perte financière induite par la convergence.
Des conditions de travail des soignants déjà difficiles
Les personnels font d’ores-et-déjà face à
- une évolution des profils de résidents, plus dépendants,
- une amplification des tâches sanitaires au détriment du relationnel,
- un renforcement des exigences de qualification des professionnels et du contrôle qualité,
- une exigence légitimement accrue des résidents…
Le risque d’accentuation des déséquilibres territoriaux
EHPAD des villes, désert des champs… ? Les EHPAD publics sont majoritairement plus anciens et proportionnellement plus implantés en territoires ruraux. S’ils devaient fragilisés par la réforme, que deviendraient ces territoires… ?
Des partenaires eux-mêmes inquiets
Les départements de l’Aveyron ou du Val-de-Marne ont publiquement réaffirmé leur attachement à l’objectif d’accessibilité financière des EHPAD pour les personnes âgées dont les revenus sont les plus modestes.
Des inquiétudes qui viennent s’ajouter à d’autres difficultés propres au secteur gérontologique et aux manques de marge de manœuvre des élus locaux : SAD, réforme territoriale, etc.
LES DERNIERES ANNONCES D’AGNES BUZYN
La Ministre des Solidarités et de la Santé a annoncé sa volonté est « d’ouvrir le chantier de la dépendance dans les mois qui viennent » :
- 100 millions d’euros supplémentaires prévus dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (72 millions pour accompagner les EHPAD en difficulté, 26 millions pour aider à recruter)
- Un accord avec l’objectif de ratio de 1 pour 1 (sans qu’aucun moyen précis ne soit annoncé)
- La nomination de Pierre Ricordeau, ancien secrétaire général des affaires sociales, comme médiateur « afin d’expertiser les appréciations divergentes entre les services ministériels et les fédérations d’établissements sur les conditions de déploiement de cette réforme ». Le cas échéant, cette médiation pourrait déboucher sur une « amélioration de la simplification de la réforme et de sa lisibilité ».
- 50 millions d’euros supplémentaires attribués aux ARS pour aider les structures en difficulté. Les ARS sont invitées, en lien avec les conseils départementaux, à « examiner de façon prioritaire la situation des Ehpad repérés, en vue notamment de leur apporter un soutien financier exceptionnel ».
La ministre a pointé une inégale prise en charge de la dépendance en établissement sur le territoire, soulignant par exemple que la part individuelle d’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) que chaque département dépense varie de 1 à 2,5 pour une personne.
LES PRISES DE POSITION DE L’UNCCAS
Dans ce contexte, l’UNCCAS est intervenue à de nombreuses reprises pour porter la voix des CCAS et CIAS auprès du gouvernement.
- Septembre 2017 : audition par la mission flash sur les EHPAD de l’Assemblée nationale conduite par la députée Monique Iborra, députée de Haute-Garonne et Caroline Fiat, députée de Meurthe et Moselle, pour alerter sur l’impact de la réforme de la tarification sur les EHPAD publics et la nécessité de prendre en compte les spécificités du secteur public.
- Novembre 2017 : envoi d’un courrier de sensibilisation adressé à Agnès Buzyn, lui précisant que l’UNCCAS est prête à apporter son concours pour faire évoluer le dossier
- Février 2018 :
- Le 6/02 : audition de l’UNCCAS au Sénat par Bernard Bonne, sénateur de la Loire et Alain Milon, Président de la commission des affaires sociales (en présence de la FEHAP, de la FHF, du Synerpa et ouvert aux membres de la commission). Parmi les questions des sénateurs : envisage-t-on de faire évoluer les pratiques de recrutement ; quels leviers de fidélisation du personnel ; quel impact du point Gir départemental sur l’aggravation des inégalités territoriales…
- Le 13/02 : participation de l’UNCCAS à la table-ronde à l’Assemblée nationale sur la question des personnels organisée par Monique Iborra suite à l’audition de septembre 2017 (en présence de la Mutualité Française, la FEHAP, la FHF, le SYNERPA, l’INRS (Institut National de recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelle et des accidents du travail).
PARMI LES PISTES QUE L’UNCCAS ETUDIE
L’UNCCAS réaffirme sa disponibilité pour trouver des solutions pragmatiques et propose, s’agissant des personnels de :
- de réfléchir à des aménagements pour limiter les contraintes en termes de recrutement au sein des EHPAD de la fonction publique territoriale (par exemple autour de la nécessité du concours pour les aides-soignants afin d’éviter une concurrence avec le secteur hospitalier),
- de soutenir les CCAS gestionnaires d’EHPAD dans la formation de leurs agents via la demande de création de formations qualifiantes par le CNFPT,
- d’encourager d’autres formes de recrutement de nouveaux professionnels, par exemple via le recours à l’apprentissage…