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« Pourquoi je démissionne de ma fonction de Présidente de l’Union Régionale des Sages-Femmes d’Occitanie ? » (Lettre ouverte)

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« Depuis un peu plus de 2 ans, j’assure la Présidence de l’Union Régionale des Professionnels de Santé (URPS) pour les Sages-Femmes d’Occitanie. Les URPS sont des organisations régionales regroupant tous les professionnels libéraux du même corps de métier au sein d’une même région. Notre fonction est de développer et organiser l’offre de soin de notre profession, en collaboration avec différents interlocuteurs, principalement avec l’Agence Régionale de Santé.

Le 20 août 2020, j’ai démissionné.

J’exerce une profession méconnue du grand public. Ou plutôt, que le grand public croit connaître mais ne connaît pas du tout en réalité. Nous sommes souvent vues comme des infirmières, voire des aides-soignantes, assistantes des gynécologues-obstétriciens. Il n’en est rien.

Nous sommes une profession médicale, au même titre que les médecins et les dentistes, c’est-à-dire que nous examinons nos patient.e.s, établissons des diagnostics, prescrivons des médicaments et des examens, interprétons des résultats, réalisons des actes techniques auprès de notre patientèle, à savoir des femmes et des nouveau-nés la plupart du temps, parfois leur entourage (partenaire, famille proche).

Que tout cela, Monsieur Toulemonde ne le sache pas, je ne lui en veux pas. Il n’en est pas vraiment responsable, la réalité de mon métier est très peu médiatisée.

Mais que les instances avec qui je suis sensée travailler ne le sachent pas… Là,  c’est un peu plus dur à avaler.

J’ai, en effet, passé 2 ans à devoir sans cesse rappeler nos nombreuses compétences en périnatalité et en gynécologie à mes différents interlocuteurs. Deux ans à recenser toutes les commissions et groupes de travail dans lesquels nous n’avions pas été incluses alors que nous y avions toute notre place. Deux ans à chercher des contacts auprès des instances sanitaires régionales et départementales, et fait trop souvent face à une absence de réponse.

Puis est arrivée la crise sanitaire du Covid19. Dès l’annonce du passage en stade III le 13 mars 2020, les sages-femmes de l’URPS et moi-même avons commencé, en toute autonomie, à réfléchir à une organisation des soins, à recenser les sages-femmes libérales disponibles pour assurer la continuité des soins (sorties de maternité, relais des suivis de grossesse suite aux annulations dans les hôpitaux, prise en charge des IVG…). Tout cela sans aucun appui de l’ARS, que nous avons alertée à plusieurs reprises. La seule réponse que nous ayons reçue était, en substance, la suivante : « Vous n’êtes pas notre interlocuteur privilégié ».

Pourtant, nous avons tenté, tant bien que mal, de guider nos consoeurs et confrères libéraux à organiser leurs cabinets, leurs agendas, alors que nous n’avions aucune consigne des autorités sanitaires, mis à part les tristement célèbres « gestes barrières ». Devions-nous privilégier les domiciles ? Ou plutôt voir toutes nos patientes dans nos cabinets ? Quelles activités devions-nous conserver ? Lesquelles devions-nous reporter ? Ou annuler ?

Nous avons pris sur nous de donner des instructions, à la lumière des documents émanant des sociétés savantes qui arrivaient au compte goutte, en les lisant souvent le soir, la nuit, après nos journées de travail et nos soirées en famille. Car, pour certain.e.s dont je fais partie, nos cabinets n’ont pas désempli. Des patientes issues des maternités alentours sont venues s’ajouter aux suivis déjà en place, il a fallu adapter nos créneaux de consultation pour pouvoir tout désinfecter, pour éviter que les patientes ne se croisent, il a fallu s’approprier les outils de télémédecine au pied levé, il nous a fallu travailler 7j/7 pour assurer les retours précoces de maternité qui demandent une visite très rapide au domicile des parents. Et les sages-femmes ont été là, elles n’ont pas abandonné les femmes et les nouveau-nés.

Pendant 2 mois, j’ai donc été sur plusieurs fronts à la fois. A l’échelle individuelle, dans mon cabinet ; et à l’échelle collective, au niveau régional dans le cadre de mon mandat à l’URPS, mais également au niveau national dans le cadre du mandat que j’occupe fraichement au sein de l’ONSSF, le syndicat majoritaire des sages-femmes.

Là aussi nous n’avons pas été épargnées : oubliées dans le premier décret qui prévoyait la distribution des masques aux professionnels de santé, en contact quotidien avec le Ministère pour rappeler nos compétences et que nos cabinets étaient toujours ouverts. Nos courriers au Directeur Général de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) sont restés sans réponse.

Que ce soit à l’échelle régionale ou nationale, nous avons passé un temps considérable à simplement dire que nous existions et que nous avions des compétences, au lieu de réfléchir et agir pour une meilleure prise en charge des femmes et des nouveau-nés pendant cette période si particulière. C’est comme si les infirmières et infirmiers devaient quotidiennement rappeler au Ministère de la Santé et aux ARS qu’elles/ils savent faire des pansements et poser des perfusions. Cela vous parait absurde ? C’est le quotidien des sages-femmes qui traitent avec les autorités sanitaires.

Et pour que le tableau soit complet, ce temps non négligeable que les membres de l’URPS et moi-même avons passé à effectuer un travail qui aurait dû être fait, au moins en partie, par l’ARS, est quasiment bénévole. En effet, nous avons une dotation globale sur l’année constituée par les cotisations des sages-femmes libérales. Ce montant nous suffit à peine pour fonctionner en temps normal. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de nous indemniser le temps passé à travailler pour l’URPS durant la crise, nous exploserions notre budget. Le 30 juin, nous avons sollicité auprès de l’ARS Occitanie une dotation financière exceptionnelle, vu la situation inédite à laquelle nous avons dû faire face. Ce courrier est, à ce jour, toujours sans réponse.

Enfin, et c’est là l’oubli de trop qui me fait rendre mon tablier, nous avons travaillé pendant plusieurs mois sur la cartographie qui régit les possibilités d’installation des sages-femmes libérales sur la région Occitanie. Là encore, cela a demandé de nombreuses heures de réflexion, de concertation, de synthèse, de rédaction. Cette cartographie a été signée par le directeur de l’ARS le 31 juillet. J’attends toujours que l’ARS me tienne informée de cette validation, que j’ai découverte par hasard sur leur site internet, alors que cette cartographie impacte grandement le quotidien de mes confrères et consœurs.

Le 20 août, j’ai donc informé le directeur de l’ARS Occitanie de ma démission, en lui en expliquant les raisons, exposées ci-dessus. Je suis en attente de sa réponse, si elle arrive un jour. Même si la reconnaissance des femmes, des mères, des pères, des familles, des enfants que l’on voit souvent grandir est ce qui nous porte au quotidien, la reconnaissance institutionnelle est non moins importante. Nous sommes très loin du compte et cette invisibilisation de notre profession, pourtant indispensable à la santé des femmes, est inacceptable, en France, en 2020. »

Charlotte Baudet-Benzitoun
Ex-présidente de l’URPS Sages-Femmes Occitanie
Secrétaire Générale Adjointe de l’ONSSF
Sage-femme libérale en colère

Contact presse : presse@onssf.org

2 commentaires sur “« Pourquoi je démissionne de ma fonction de Présidente de l’Union Régionale des Sages-Femmes d’Occitanie ? » (Lettre ouverte)”

  1. Excellent et néanmoins navrant constat de la situation des sages-femmes
    depuis 34 ans que j’exerce…
    comment les institutions peuvent elles systématiquement oublier une profession largement féminine s’occupant de femmes?
    Et si même au 21 è siècle la réponse était dans la question ?!!
    Haut les coeurs les collègues

    • C’est hélas une triste réalité. Je suis Médecin rhumatologue, membre de l’URPS médecin d’Occitane, depuis longtemps. D’abord. URML, ne comportant que les médecins libéraux, Avec les URPS toutes les branches de santé sont représentées, à la demande des tutelles. Un objectif de concertation entre nous qui n’a jamais été mis en place.Chacun « se bat » dans son coin avec l’ARS, qui semble tenir bien peu compte de, nos travaux.
      Que les différentes branches des Unions se rencontrent , pour une politique de santé libérale intelligente et coordonnée . Union indispensable si on veut servir à quelque chose, si on veut servir à autre chose que valider les projets (le plus souvent tout prêts) de l’ARS. Exemple en commission Délégation des Tâches, les demandes de réunion avec les infirmières (acceptées à moitié) ont ^permis de bien mieux comprendre les différents problèmes et l’intérêt de réfléchir ensemble.
      Beaucoup de bénévolat…que d’énergie perdue.Remettons le patient au centre de notre politique de santé. Combien de personnes travaillent à l’ARS Occitanie ??? de combien de praticiens médicaux et paramédicaux manquons nous ?

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