La CSMF, premier syndicat médical français, a pris connaissance avec consternation des prétendues propositions de la mission sénatoriale sur les « déserts médicaux ».
Le conventionnement sélectif et la création d’un service public obligatoire pour les jeunes médecins, de 2 ans dans les hôpitaux locaux pour les spécialistes, sont des mesures totalement ineptes, dangereuses et contreproductives. Elles réapparaissent régulièrement depuis plusieurs années et mettent à chaque fois en lumière l’ignorance crasse, qu’ont ceux qui les ressortent des cartons, de la complexité de la démographie médicale.
D’autre part, une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) d’avril 2011 montre que 95% de la population française a accès à des soins de proximité en moins de quinze minutes. De même, la plupart des médecins spécialistes libéraux et les équipements médicaux les plus courants sont accessibles en moyenne à moins de 20 minutes par la route. Concernant les seuls médecins généralistes, l’IRDES montre que moins de 1% de la population vivant dans 4% des communes françaises, soit 600 000 personnes, sont à plus de 15 minutes de trajet d’un médecin généraliste. Ces communes sont parmi les plus isolées géographiquement les plus dépourvues en services publics, leurs hôpitaux locaux ont été supprimés, et les commerces et services en sont partis.
Les médecins libéraux n’acceptent pas d’être les souffre-douleurs d’élus incapables de mettre en œuvre une politique cohérente et efficace d’aménagement du territoire. Ce n’est pas le fait de les contraindre à exercer dans des communes sans population, sans services publics, sans écoles, sans commerces et sans tissu économique qui fera revenir les populations.
Les mesures coercitives à l’installation ne feront qu’éloigner les jeunes de la médecine libérale et inciter les plus âgés à anticiper leur départ à la retraite. Tous les pays qui ont expérimenté les contraintes à l’installation de leurs médecins libéraux y ont rapidement renoncé.
La CSMF souhaite alerter l’opinion publique sur les conséquences de la disparition de la liberté d’installation qui entraine la disparition de la liberté de choix du patient avec pour corollaire l’établissement d’une carte de santé comparable à la carte scolaire.
La CSMF s’oppose d’autant plus aux contraintes à l’installation qu’on ne laisse pas le temps aux mesures incitatives de s’appliquer.
La CSMF demande que les pouvoirs publics fassent connaître ces incitations aux jeunes médecins et accélèrent l’application des aides l’installation prévues dans la convention médicale de juillet 2011.
La CSMF demande au Gouvernement de poursuivre avec énergie la politique d’incitation contenue dans le « Pacte territoire santé » et de repousser les propositions éculées et dangereuses de cette nouvelle commission sénatoriale.
Pour construire une politique de meilleure répartition des médecins et une réponse efficace à la question de la présence médicale sur l’ensemble du territoire, la CSMF propose de :
1. Répondre aux nouvelles aspirations des jeunes médecins. Il est urgent de revaloriser l’exercice libéral qui aujourd’hui rebute la nouvelle génération. Il faut répondre aux aspirations nouvelles, des femmes comme des hommes, de mieux équilibrer leur vie professionnelle avec leur vie personnelle. Une meilleure qualité de vie des médecins doit être recherchée. Ceci suppose d’adapter l’organisation professionnelle, en favorisant des modes d’exercice en réseau ou en groupe entre médecins, entre médecins et autres professions de santé, et enfin entre les structures hospitalières publiques et privées. Dans le même esprit, il faudrait permettre aux médecins libéraux d’accéder aux plateaux techniques des hôpitaux sur la même base de nomenclature que la rémunération des actes en libéral. Il faut naturellement améliorer les conditions de la permanence des soins et trouver des solutions de collaboration public/privé dans les zones déficitaires. Trop souvent le poids des gardes est tel qu’il constitue un facteur très dissuasif à l’installation dans ces zones.
2. Améliorer les rémunérations et la couverture sociale des médecins libéraux. Il ne sera pas possible de faire l’économie de l’alignement du niveau de rémunération sur celui des autres médecins européens. Le médecin généraliste libéral français est l’un des moins bien payés de l’OCDE, très loin derrière ses confrères allemands et britanniques. De plus, la couverture sociale du médecin libéral doit être améliorée, qu’il s’agisse de la couverture maladie, – le délai de carence de 90 jours avant de pouvoir percevoir la moindre indemnité journalière est une injustice – , ou qu’il s’agisse de la maternité. Les femmes médecins doivent pouvoir bénéficier d’une prise en charge identique à celle du régime général, d’autant que les médecins de secteur 1 cotisent à ce régime sans bénéficier de ses avantages. La création d’un statut de collaborateur libéral salarié est à explorer. Le médecin assistant tel qu’il est expérimenté avec succès en Mayenne est une solution qui permet d’apporter dans les zones en difficulté une aide au médecin installé en faisant travailler ensemble le remplacé et le remplaçant. Les médecins installés seraient ainsi épaulés. les jeunes diplômés qui préfèrent un statut salarié ou à temps partiel et qui ne sont pas encore mûrs pour l’installation, pourraient ainsi travailler dans les cabinets médicaux. Cet exercice à temps partiel ou à temps partagé est à développer car il répond à une demande forte, notamment, mais pas seulement, des jeunes femmes.
3. Appliquer pour de bon les mesures incitatives. L’installation dans les zones peu attractives doit être encouragée par des incitations multiples, sous condition que le médecin ne soit pas contraint d’effectuer la totalité de sa carrière professionnelle dans une seule zone. Des mesures allant des bourses à la création de zones défiscalisées en passant par l’aide à l’investissement, ou les majorations d’honoraires destinées à compenser une patientèle trop faible, doivent être développées. Mais, il ne suffit pas de les décider, il faut les mettre en œuvre et surtout, les faire connaître. D’autre part, les remplaçants doivent être aidés à formaliser leur projet d’installation. Le rôle des pouvoirs publics est d’accompagner et de faciliter leur installation. Les dispositifs de type « guichet unique » doivent se développer. Au total, un réel effort de communication s’impose. De même une aide au secrétariat qui existe dans d’autres pays comme la Belgique doit être envisagée pour alléger le médecin de charges administratives dévorantes au détriment de l’activité purement médicale. La faiblesse de rémunération des médecins français face à leurs confrères de l’OCDE ne leur permet pas d’assumer cette charge, et rend le salariat encore plus attractif car le personnel est pris en charge par la communauté. Le coût de la pratique doit être intégré dans la rémunération du médecin libéral.
4. Traiter l’urgence dans les zones réellement sous-médicalisées. Pour répondre en urgence au problème des zones les plus sous-médicalisées, un contrat volontaire pourrait permettre de créer des cabinets secondaires partagés entre professionnels, à temps plein ou partiel pour assurer une présence permanente et dont le financement serait à la charge des communautés de communes. Il faudrait également créer les conditions matérielles pour permettre aux retraités qui le souhaitent de continuer à exercer. C’est une ressource considérable trop souvent négligée.
5. Passer d’un numérus clausus quantitatif à un numérus clausus qualitatif. Le numerus clausus doit être établi au niveau régional en prenant en compte les besoins par spécialités dans les années à venir, par le retour à l’internat régional, encouragé éventuellement par l’octroi d’une bourse. Rendre les facultés de médecine flexibles pour éviter leur concentration dans les grands centres urbains comme Paris et les redéployer, en fonction des besoins constatés dans les zones où un déficit de médecin existent ou va se produire.
6. Faire rentrer l’exercice libéral dans le cursus de formation initiale. Il faut que les facultés se mobilisent sérieusement pour mettre en place les stages d’immersion en cabinet de ville et dans les cliniques. Les pouvoirs publics doivent débloquer les moyens indispensables pour financer les maîtres de stages. Parallèlement, les médecins libéraux ont vocation à intégrer l’enseignement universitaire de la médecine. Les facultés doivent les accueillir et leur proposer suffisamment de postes d’enseignants à tous les grades, de celui de maître de conférence associé jusqu’à celui de professeur. Enfin, il faut intégrer la dimension professionnelle de l’entreprise médicale libérale dans le cursus de formation initiale. La gestion et l’organisation d’un cabinet, les relations avec l’assurance-maladie et les acteurs médico-sociaux, les pratiques coopératives ne doivent plus être découvertes « sur le tas ».