Il n’existe pas jusqu’ici en France de dépistage organisé du cancer du poumon, la HAS ayant considéré en 2016 que toutes les conditions pour une mise en œuvre efficace et sûre n’étaient pas réunies. Aujourd’hui, l’analyse des nouvelles données disponibles montre que le dépistage par scanner à faible dose chez les personnes fortement exposées au tabac conduit à une réduction de la mortalité spécifique.
Ceci amène la HAS à actualiser son avis et à encourager la mise en place d’expérimentations en vie réelle, et notamment d’un programme pilote par l’INCA, afin de ne pas retarder l’accès à cette modalité de dépistage. Elle définit également certaines des informations que devraient apporter ce programme pilote et les études à venir, avant d’envisager le déploiement d’un programme de dépistage organisé à large échelle.
Le cancer du poumon (appelé aussi cancer broncho-pulmonaire) est le cancer qui occasionne le plus de décès chaque année en France (plus de 33 000). Souvent diagnostiqué à un stade tardif, il est également l’un des cancers de plus mauvais pronostic avec un taux de survie à 5 ans de 20 %. Chez l’homme âgé de 45 à 64 ans, il représente la première cause de décès, toutes causes confondues. Il est en forte progression chez la femme. Le tabac est responsable de huit cancers du poumon sur dix.
L’objectif du dépistage d’un cancer est de détecter les personnes qui, dans une population apparemment en bonne santé, présentent un risque supérieur de contracter une maladie ou un problème de santé, de façon qu’un traitement ou une intervention puisse être plus efficace. Si une anomalie est repérée, des examens complémentaires peuvent être nécessaires pour confirmer le diagnostic ou mettre en place un suivi.
Dans le cas du cancer broncho-pulmonaire, l’examen de dépistage est un scanner thoracique à faible dose sans injection, technique d’imagerie aussi appelée tomodensitométrie. En cas d’anomalie, le bilan diagnostique comporterait l’examen clinique, des examens complémentaires d’imagerie médicale ou de médecine nucléaire et une biopsie de la tumeur.
Recommander que les pouvoirs publics invitent à intervalles réguliers une partie de la population asymptomatique à pratiquer un scanner thoracique à faible dose soulève de nombreux enjeux. Les appréhender et répondre aux questions qu’ils posent permettra de définir les conditions et modalités de mise en œuvre les plus efficaces et les plus sûres d’un programme de dépistage organisé du cancer du poumon.
Les bénéfices sont bien documentés mais les dommages possibles liés au surdiagnostic et aux faux positifs sont à prendre en compte
Dans sa revue critique de la littérature publiée en 2016, la HAS concluait que les conditions de qualité, d’efficacité et de sécurité pour la mise en place du dépistage du cancer broncho-pulmonaire n’étaient pas réunies. Aujourd’hui, elle actualise sa position et recommande l’engagement d’un programme pilote visant à documenter les prérequis à la mise en place d’un dépistage organisé.
Depuis son précédent avis, la HAS a analysé des revues systématiques, avec ou sans méta-analyse, incluant les essais cliniques comparatifs internationaux disponibles et évaluant l’efficacité d’un dépistage du cancer broncho-pulmonaire par scanner thoracique faible dose sur une population ayant un risque élevé de ce cancer.
Les auteurs ont rapporté que le dépistage du cancer broncho-pulmonaire par tomodensitométrie à faible dose chez les personnes ayant un risque augmenté de ce cancer réduit la mortalité spécifique de celui-ci. Ainsi avec la mise en place d’un dépistage systématique chez les populations fortement exposées au tabac, on pourrait observer une diminution significative de la mortalité spécifique de ce cancer, de l’ordre de 5 vies sauvées pour 1000 personnes dépistées (en fonction des modalités de dépistage). Si aucun impact n’a pu être démontré sur la mortalité globale, la HAS précise que ce critère manque de pertinence étant donné l’interférence des comorbidités liées au tabac et de l’âge qui aug mentent la mortalité.
Une moindre détection de cancers dépistés au stade IV et une détection des cancers à un stade plus précoce a également été observée lors des dépistages, un résultat intéressant dans le cas du cancer du poumon dont le pronostic est d’autant plus sombre qu’il est détecté à un stade tardif. La survie à 5 ans n’est ainsi que de 4 % pour une détection au stade IV de ce cancer, stade auquel il est aujourd’hui diagnostiqué dans 40 % à 55 % des cas. Ces résultats restent toutefois à confirmer, au vu de l’hétérogénéité élevée des résultats et des protocoles d’études incluses dans les méta-analyses.
La HAS relève que les résultats positifs des études sur la réduction de la mortalité spécifique et du taux de détection des cancers à un stade avancé doivent être considérés au regard des effets délétères liés au surdiagnostic (diagnostic de lésions cancéreuses indolentes, c’est-à-dire qui n’auraient pas évolué ou de cancers qui ne seraient jamais devenues symptomatiques) et à la détection de faux positifs pouvant générer une anxiété, des examens complémentaires, des traitements et des risques accrus de complication). A ainsi été rapporté par les auteurs des études analysées le fait qu’entre 0,1 % et 1,5 % des personnes incluses aient reçu un bilan diagnostique invasif en raison d’un résultat faux positif lors du dépistage et des taux de complications mineures à graves faisant suite aux examens complémentaires de 0,1 % à 1 ,3 %. Ces données sont à confirmer par des études complémentaires selon des modalités de dépistage en adéquation avec le système de soins français.
Engager un programme pilote et des études en vie réelle pour obtenir les données manquantes
S’appuyant sur ces résultats encourageants, la HAS préconise que l’INCA engage un programme pilote et soutienne la mise en place des études complémentaires sur la base des recommandations de la HAS en vue d’obtenir les réponses encore manquantes et indispensables à la mise en place d’un programme de dépistage organisé efficace et sûr. La HAS rappelle que la fréquence et la gravité de la maladie ne sont pas des conditions suffisantes pour la mise en place d’un dépistage organisé : les caractéristiques de la maladie dépistée, l’examen de dépistage envisagé, sa périodicité, les options thérapeutiques efficaces disponibles pour modifier le cours de la maladie et améliorer l’état de santé doivent également être pris en compte.
La HAS recommande que les aspects suivants puissent être définis avant d’initier le programme pilote :
- La population cible (critères d’éligibilité de la population exposée à un risque élevé de cancer broncho-pulmonaire, quantification du tabagisme chez les fumeurs ou ex-fumeurs par sexe et du tabagisme passif si identifiable) ;
- La procédure de dépistage : modalités et algorithme (durée, fréquence du dépistage, combinaison avec un sevrage tabagique, définition/stratégie de gestion des nodules pulmonaires suspects,) en prenant en compte la durée totale de répétition des examens de dépistage sur la vie entière.
Les points suivants devront être évalués à l’occasion du programme pilote ou d’études complémentaires menées en parallèle :
- Des éléments de santé publique tout d’abord : est-ce qu’une meilleure prise en charge thérapeutique précoce et efficace des cancers du poumon permettrait une augmentation de la qualité de vie du malade, une diminution de la charge financière de cette maladie, tout en associant des actions de lutte contre le tabagisme ?
- La sécurité du programme de dépistage : comment prendre en compte les risques liés à la répétition des examens de dépistage, à un surdiagnostic ou à un surtraitement ? Comment prendre en compte les disparités possibles entre machines de scanner ?
- L’acceptabilité de ces programmes de dépistage : par la population cible qui doit permettre d’atteindre un taux de participation suffisant, et l’impact psychologique de ce dépistage (notamment son impact sur le sevrage tabagique)
- Les impacts organisationnel et économique d’un dépistage systématique du cancer broncho-pulmonaire : quel sera son impact budgétaire ? Sera-t-il contrebalancé par la diminution de la létalité de la maladie ? Quel est le rapport coût-efficacité du dépistage ?
- Des aspects éthiques et sociétaux, liés aux disparités observées sur le territoire concernant l’accès au dépistage notamment pour les populations dites vulnérables (le tabagisme chronique étant fortement associé au statut socioéconomique) ou pour les personnes éloignées du système de santé pour d’autres raisons. De plus, chaque personne doit pouvoir bénéficier d’une information complète et neutre sur les avantages, les limites et les inconvénients possibles du dépistage afin de prendre une décision éclairée.
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