Les résultats de l’enquête conduite par la MACSF auprès de ses sociétaires sur l’évolution de la profession infirmière vont à l’encontre de certaines idées reçues. Les médecins se disent globalement favorables à un élargissement des compétences et des interventions des infirmières sur le terrain. Ils sont aussi plus optimistes que les infirmières elles-mêmes, sur les perspectives de reconnaissance et de revalorisation de la profession infirmière dans les 10 ans à venir.
Les médecins, interrogés par la MACSF[1] à l’occasion du salon infirmier à Paris du 23 au 25 mai[2], se déclarent favorables à 65% à un élargissement du champs de compétences des infirmières. Ils sont également favorables à 67% à une plus large délégation de tâches aux infirmières.
Les médecins positifs sur l’élargissement du rôle des infirmières
En toute logique, 61% des médecins sont aussi favorables à ce que les infirmières interviennent davantage dans les déserts médicaux sur des actes médicaux simples. Ils sont d’ailleurs 63% à estimer que les infirmières interviendront dans 10 ans, effectivement plus souvent qu’aujourd’hui, pour effectuer des actes médicaux simples dans les zones frappées par la désertification médicale.
D’une manière générale, l’enquête de la MACSF montre que les médecins sur le terrain sont plus positifs sur l’élargissement du rôle des infirmières que n’ont pu le laisser penser les prises de parole publiques récentes à l’occasion des débats parlementaires sur la loi Rist[3].
Un médecin interrogé dans l’enquête MACSF voit l’infirmière de demain comme « une vraie auxiliaire de soins avec prise de responsabilités moyennant une amélioration des connaissances médicales qui se sont amoindries ces dernières années ». Un autre prédit « plus d’autonomie, plus de responsabilités et un travail plus synergique avec les médecins. »
Les infirmières convaincues d’avoir davantage de délégation à l’avenir
De leur côté, les infirmières confirment la vision qu’elles avaient déjà il y a cinq ans de l’évolution de leur métier. Dans la précédente enquête de la MACSF sur la profession infirmière[4] en 2018, elles estimaient à 89% que les médecins leur délégueraient plus de tâches à l’horizon 2030. Plus des trois-quarts (76%) des infirmières interrogées en 2023 en sont toujours convaincues. Et elles se déclarent favorables à 79% à cet accroissement de délégation de tâches médicales.
« Par cette enquête auprès de nos sociétaires, nous voulions réinterroger les professionnels de santé sur leur vision de la profession infirmière dans l’avenir. La MACSF avait fait une étude il y a cinq ans et nous voulions revenir sur ce sujet dans le contexte post-Covid, en essayant de dépasser les polémiques. Car en tant qu’assureur mutualiste, nous nous devons d’accompagner ces changements, notamment en termes de formation et de prise en compte de l’évolution du risque médical », explique Thierry Houselstein, directeur médical du groupe MACSF.
Une exposition croissante au risque médico-légal
Avec l’élargissement des tâches, la perception de s’exposer davantage à un risque médico-légal s’accroit. Les infirmières sont plus de 8 sur 10 à avoir l’impression qu’elles sont plus exposées aujourd’hui qu’il y cinq ans aux risques médico-légaux. Cette perception est partagée par l’ensemble des répondants (44% des médecins ; 56% des cadres de santé ; 66% des étudiants). Et la conviction est encore plus forte, lorsqu’on se projette dix ans dans l’avenir : 9 répondants sur 10 estiment que l’exposition aux risques médico-légaux des infirmières sera supérieure.
« Il est important que l’assurance en responsabilité civile professionnelle soit en adéquation avec la pratique des métiers. A la MACSF, nous suivons donc très attentivement l’évolution des missions et des compétences de la profession IDE[5]pour adapter, si besoin, nos garanties », précise Thierry Houselstein.
Les médecins optimistes pour l’avenir de la profession infirmière
L’augmentation des missions et de la responsabilité ne va pas de pair avec la reconnaissance et la rémunération estiment cependant médecins et infirmières. En majorité, les infirmières déclarent en effet que leur travail est moins reconnu qu’il y a cinq ans (60%) et moins valorisé (68%).
L’avis des médecins est plus nuancé : 40% estiment le travail des infirmières aussi reconnu qu’il y a 5 ans; 25% moins reconnu qu’il y a 5 ans. Même si certains sont très véhéments sur le sujet. « C’est un scandale ! » s’exclame un médecin en évoquant le niveau de rémunération des infirmières.
« Les infirmières ne sont guère mieux payées qu’une femme de ménage, ce qui est vraiment honteux ! », s’indigne un autre.
Les médecins sont en majorité (55%) optimistes sur l’évolution de la situation vers davantage de reconnaissance du travail des infirmiers dans l’avenir alors que seulement 22% des infirmières pensent que leur travail sera mieux reconnu dans dix ans.
Même constat en ce qui concerne la valorisation, puisque 59% des médecins estiment que le travail infirmier sera davantage valorisé dans dix ans alors que seulement 21% des infirmières le croient.
Ces chiffres traduisent un réel pessimisme des infirmières sur les perspectives d’avenir de leur profession ce qu’indiquent aussi les commentaires recueillis dans le cadre de l’enquête de la MACSF.
« Demain il n’y aura plus personne pour faire ce métier, trop de responsabilités, trop de travail, aucune reconnaissance, aucun salaire à la hauteur… », affirme une infirmière.
« Je rêve d’un exercice facilité, en lien avec les médecins de secteur, dans l’intérêt du patient. Mais de façon réaliste, je pense que nous serons de moins en moins nombreux car le métier n’attire pas et que nous aurons de plus en plus de tâches que les médecins ne pourront/voudront plus faire », déclare un infirmier.
Un regard critique sur la formation actuelle
La formation semble un facteur clé pour accompagner l’évolution du métier infirmier mais les professionnels de santé interrogés se montrent très critiques sur le sujet. Près d’un répondant sur deux à l’enquête MACSF estime que les infirmières bénéficient aujourd’hui d’une formation moins complète qu’il y a cinq ans.
Et l’optimisme est modéré sur les perspectives d’amélioration : 55% de l’ensemble des répondants pensent que la formation des infirmiers sera, dans dix ans, plus complète qu’aujourd’hui, grâce à des formations complémentaires pour augmenter leurs compétences. Sur ce sujet les médecins (64%) et les étudiants (68%) sont plus optimistes que les infirmières (45%).
« La formation actuelle risque d’être la même dans l’avenir et je pense qu’il y a de gros manques. C’est une profession exigeante qui demande de vraies compétences et elle se dégrade trop », affirme une infirmière interrogée.
Les points de crispation : la prescription de médicaments et d’examens
La prescription de médicaments, d’examens complémentaires et le renouvellement d’ordonnance restent des sujets très sensibles comme l’ont montré les débats autour de la loi Rist. Sur ces sujets, les médecins ont des avis défavorables qui tranchent.
Concernant la prescription de médicaments, les médecins y sont défavorables à 76% alors que les infirmières sont une petite majorité (51%) à y être favorables, de même que les étudiants (54%).
Sur le renouvellement d’ordonnance, les médecins se déclarent franchement contre à 64%, et les infirmières franchement pour à 71%, de même que les étudiants pour, à 73%.
L’opposition entre les opinions est également très nette sur la possibilité pour les infirmières de prescrire des examens complémentaires. Les médecins y sont défavorables à 58%, alors que les autres catégories interrogées y sont toutes très favorables : les infirmières à 74%, les étudiants à 76%, et les cadres de santé et directeurs de soins à 80%.
Au vu de la tendance de l’évolution législative, les médecins se montrent néanmoins réalistes. Ils estiment en majorité que d’ici dix ans, les infirmières pourront prescrire des examens complémentaires et renouveler des ordonnances.
Les médecins en très large majorité (85%) voient d’un bon œil, comme l’ensemble des personnes interrogées, le développement des spécialisations au sein de la profession infirmière (infirmier anesthésiste, infirmier de bloc opératoire, etc.).
En revanche, les médecins sont un peu plus réservés sur le développement des infirmiers en pratique avancée (IPA) auxquels ils ne sont plus que 56% à être favorables. Catégorie de création récente – la première promotion d’IPA est en activité depuis 2019 – cette nouvelle spécialisation représentait environ 1700 personnes en 2022[6]. Elle suscite encore des interrogations de part et d’autre, liées en particulier à son positionnement par rapport aux spécialités infirmières déjà existantes et au contenu de la formation d’IPA. Selon l’étude de la MACSF, les infirmières en activité y sont néanmoins favorables à 64% et les étudiants à 87%.
Le duo médecin/infirmière dans l’avenir
De manière plus générale, certains médecins voient l’avenir avec une « coopération plus étroite », ou l’existence d’un vrai « binôme » entre médecin et infirmière.
L’infirmière sera « le bras droit du médecin si elle ou il est bien formé.e », prédit un médecin répondant.
Cette vision positive des médecins contraste avec le découragement qui transparait dans les propos des infirmières sur leur avenir professionnel.
Rares sont les commentaires positifs comme celui de cette infirmière qui anticipe « davantage de liberté de prescription [pour les infirmières] mais toujours en duo avec le médecin du patient ».
La plupart des commentaires au contraire sont assez sombres. Par exemple, cette infirmière s’inquiète d’un futur avec « un glissement de tâches sans formation réellement efficace et sans rémunération digne de ce nom. Et toujours le même mépris ».
Ou cette autre infirmière qui regrette : « Je pense que l’on va rester sur des choses inabouties, où les infirmières vont pallier la raréfaction des médecins, exercer dans des conditions juridiques parfois nébuleuses, et avec un statut qui ne sera toujours pas en adéquation avec les responsabilités prises ».
Contacts : severine.sollier@macsf.fr / annie.cohen@macsf.fr