Pour la première fois, l’équipe de Gérard Gradwohl, directeur de recherche Inserm à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire d’Illkirch (IGBMC/Inserm-CNRS-Université de Strasbourg), montre que le gène Rfx6 est essentiel au fonctionnement des cellules productrices d’insuline, les cellules bêta du pancréas. Chez la souris adulte, ce gène s’avère non seulement important pour permettre la sécrétion d’insuline, mais de surcroît il joue un rôle majeur dans l’identité de la cellule beta. Dans la suite logique de ce travail mené chez le rongeur, l’équipe de Raphaël Scharfmann directeur de recherche Inserm (Unité 1016 « Institut Cochin »/Inserm-Université Paris Descartes-CNRS) confirme ces résultats sur des cellules β pancréatiques humaines et chez un enfant de 6 ans atteint de diabète néonatal.
Ces deux travaux sont publiés dans la revue Cell Reports du 11 décembre 2014.
Dès 2010, les scientifiques apportaient la preuve que le gène Rfx6, jouait un rôle clé dans la formation des cellules productrices d’insuline. Chez les souris portant des mutations ou des délétions (absence) de ce gène, un diabète grave apparaît à la naissance entrainant la mort des souriceaux. Tandis que chez les nouveau-nés humains présentant des mutations, un diabète néonatal est très vite diagnostiqué puis pris en charge par traitement à l’insuline.
De facteur impliqué dans le diabète néonatal, Rfx6 est en train de passer au statut de gène essentiel dans le contrôle de la sécrétion d’insuline et donc potentiellement impliqué dans le processus diabétique chez l’adulte. En effet, les chercheurs de l’IGBMC ont créé des modèles animaux de souris, dont les cellules β matures ont été modifiées de façon à inactiver leur gène Rfx6. Résultat : ces souris mutées présentent une intolérance au glucose (prédiabète). Par quels mécanismes? Sans expression de Rfx6 dans les cellules β plusieurs étapes cruciales de la sécrétion d’insuline induite par le glucose sont perturbées comme la détection du glucose, l’activité électrique des cellules β et les flux d’ions calcium.
Rfx6 régule en fait directement l’expression de gènes clés contrôlant ces processus. L’enchainement de ces étapes aboutit à une sécrétion d’insuline adaptée aux fluctuations de la glycémie, leur altération provoque une production d’insuline défectueuse.
Encore plus surprenant, en allant voir dans le transcriptome[1] des souris mutantes (sans Rfx6), l’équipe de Gérard Gradwohl a remarqué que des gènes normalement réprimés dans les cellules β deviennent actifs. Ces gènes, connus sous l’appellation « disallowed » (interdits), au lieu de rester silencieux, se manifestent ici. Leur activation induit alors la perte d’identité des cellules β. En quelque sorte, elles subissent une dédifférenciation et « oublieraient » leur raison d’être et leur fonction.
Des observations validées chez l’homme
Dans la suite logique de ce travail mené chez le rongeur, l’équipe de Raphaël Scharfmann confirme les résultats sur des cellules β pancréatiques humaines. Depuis 30 ans, les chercheurs du monde entier tentaient sans succès de reproduire ces cellules β en laboratoire pour les étudier et comprendre leurs dysfonctionnements. En 2011, Raphaël Scharfmann et ses collaborateurs académiques et industriels de la société EndoCells avaient été les premiers au monde à produire in-vitro des lignées de cellules β humaines fonctionnelles. Ils étaient donc en possession de la « boîte à outils » nécessaire pour explorer le rôle de Rfx6 chez l’homme.
De plus, leurs analyses génétiques d’enfants atteints de diabète néonatal avaient montrées des mutations dans le gène Rfx6 sans savoir quel pouvait être son rôle dans la maladie.
Les chercheurs ont donc tenté de percer le mystère Rfx6 à la fois sur des cellules β humaines classiques et fonctionnelles, sur des cellules β chez lesquelles le gène Rfx6 n’était pas exprimé et chez un enfant de 6 ans atteint de diabète néonatal.
Leurs travaux montrent, tout comme ceux des chercheurs de Strasbourg, que Rfx6 joue un rôle central en contrôlant à la fois la production d’insuline dans les cellules β mais aussi sa sécrétion dans le sang.
Dans le détail, Rfx6 agit au niveau de la membrane de la cellule β en contrôlant l’ouverture et la fermeture de canaux calciques Ca2+. En temps normal, le glucose pénètre par diffusion facilitée dans la cellule β pancréatique. Cette entrée entraine des réactions en cascade qui conduisent à l’ouverture des canaux calciques qui permettent la libération d’insuline dans le sang. Dans le cas où Rfx6 est muté et non fonctionnel, il empêche l’ouverture des canaux Ca2+ et bloque la sécrétion d’insuline qui en résulte.
Immunofluorescence, coupe histologique ilot de Langerhans d’un pancréas de souris adulte montrant l’expression du facteur de transcription Rfx6 (rouge) dans le noyau des cellules β (marquée par l’insuline en vert) © Julie Piccand
[1] Ensemble de gènes exprimés chez un individu
Ces travaux ont notamment bénéficié d’un financement de l’Agence nationale pour la recherche (ANR) et du soutien la fondation pour la recherche médicale (FRM)
> Sources
Rfx6 maintains the functional identity of adult pancreatic β-cells.
Julie Piccand1, Perrine Strasser1, David J. Hodson2, Aline Meunier1, Tao Ye1, Céline Keime1, Marie-Christine Birling3, Guy A. Rutter2 and Gérard Gradwohl1
1 Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale U964, Centre National de Recherche Scientifique UMR7104, Université de Strasbourg, Illkirch, 67404, France
2 Section of Cell Biology, Division of Diabetes, Endocrinology and Metabolism, Department of Medicine, Imperial College London, Hammersmith Hospital, du Cane Road, London, W12 0NN, U.K
3 Institut Clinique de la Souris-ICS-MCI, PHENOMIN, Illkirch, 67404, France
RFX6 Regulates Insulin Secretion by Modulating Ca2+ Homeostasis in Human Beta Cells
Vikash Chandra1, Olivier Albagli-Curiel1, Benoit Hastoy2, Julie Piccand3, Clotilde Randriamampita4, Martine Vaxillaire5, Hélène Cavé6, Kanetee Busiah1,7, Philippe Froguel5, Patrik Rorsman2, Michel Polak1,7, Raphael Scharfmann1
1 INSERM, U1016, Institut Cochin, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Faculté de médecine, Paris, France.
2 Oxford Centre for Diabetes, Endocrinology and Metabolism, University of Oxford, Churchill Hospital, Oxford, UK.
3 Development and Stem Cells Program, Institute of Genetics and Molecular and Cellular Biology (IGBMC), Illkirch, France.
4 CNRS, UMR8104, Cochin Hospital, Paris, France.
5 CNRS, UMR8199, Lille Pasteur Institute, Lille, France.
6 Department of Genetics, Robert-Debré Teaching Hospital, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France.
7 Department of Paediatric Endocrinology, Gynaecology, and Diabetology, Necker-Enfants Malades Teaching Hospital, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, IMAGINE affiliate, Paris, France.
Cell Reports, 11 déc. 2014
> Contacts chercheurs
Gérard Gradwohl – Directeur de recherche Inserm – IGBMC/ Unité Inserm 964 /UMR CNRS 7104 / Université de Strasbourg – gradwohl@igbmc.fr – 03 88 65 33 12
Raphaël Scharfmann – Directeur de recherche Inserm – Institut Cochin / Unité Inserm 1016// UMR CNRS 8104/ Université Paris-Descartes – raphael.scharfmann@inserm.fr – 01 76 53 55 68
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