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« Ca vaut combien un médecin ? » (Lettre de l’UFML à Agnès Buzyn)

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Lettre de l’UFML à l’adresse de Madame le ministre Agnès Buzyn en préalable à la présentation mardi de la Stratégie nationale de santé.

« Madame le ministre,

Vous voulez aborder « la qualité des actes et la qualité des parcours » pour la médecine libérale. 
Permettez moi de m’adresser à vous.

Il y a un effondrement des installations au sortir des facultés, des dé-plaquages à tour de bras, des épuisements, des suicides, une administration qui pèse sur nos vies, un encadrement de nos pratiques qui vire à l’enfermement, des tarifs déshonorant véritables « déshonoraires ». On bosse 55 à 80 heures par semaine, ciment sociétal, nous tenons la société à bout de bras, et là où nous venons à manquer, la société menace de s’effondrer. Nous sommes au centre même de ce qui permet le vivre ensemble, nous sommes là quand cela va mal, au plus près de la souffrance et de tous les maux, nous écoutons, nous soignons nous rassurons, nous accompagnons. Nous avons choisi d’être médecin parce que nous croyons en l’autre, en l’humain, nous le sommes le matin, le soir, la nuit, en congé, en activité, hors activité, nous le resterons à la retraite. 
Nous sommes là encore et encore, malgré un mépris continu de l’Etat, de ses relais, de ses agences, de l’Assurance maladie, des assurances complémentaires. A 25 balles nous sommes encore là, face au vieillissement de la population, à l’augmentation des besoins, à la précarité, au désespoir, à l’angoisse des lendemains, nous sommes là !

Nous sommes là encore et notre exercice est de plus en plus difficile, prenez y garde.

Il est de plus en plus difficile parce que les politiques successives ont provoqué les départs, dégouté les vocations, insinué le doute chez les plus jeunes, pourtant face au manque nous tenons.
Nous sommes payés à l’acte et j’entends la cohorte des experts rémunérés, confortablement nommés à la tête d’associations ou d’organisations, designer ce mode de paiement comme inadapté parce qu’entrainant une course à l’acte… la manipulation est grossière. Ce n’est pas le paiement à l’acte qui crée une course à l’acte, c’est le manque de médecins. Et c’est l’honneur de ceux qui restent que de faire face. C’est le lien tarif – ONDAM qui a entrainé la minoration tarifaire, ce qui a provoqué fragilisation, épuisement et effondrement démographique. Il faut avoir un certain culot pour désigner coupable un paiement à l’acte dont on bloque toute possibilité d’évolution tarifaire pour mieux dire : « comprenez qu’il est inadapté ».

C’est quoi un médecin libéral dans notre société ? Ca vaut combien ?

Combien l’Etat est prêt à investir pour que ceux là continuent à porter à bras le corps cette société dans les bons comme dans les mauvais moments, combien ?

L’exemple des solutions aux déserts portés par cette intelligentsia sans patient, est typique de ce qui tue notre profession et qui demain pourrait provoquer des drames : les maisons médicales, le salariat des professionnels, le paiement au parcours de soin, la délégation de tache, la prise en charge de cotisation sociale, le forfait structure, et leurs corollaires : les contrats de pratiques et les indicateurs, ne sont que solutions d’aval et traitement palliatif, puisqu’elles ne s’attaquent pas au problème et ne posent pas les vraies questions. C’est quoi un médecin libéral dans notre société ? Ca vaut combien ? Combien l’Etat est prêt à investir pour que ceux là continuent à porter à bras le corps cette société dans les bons comme dans les mauvais moments, combien ?

Vous pensez que les ROSP et autres forfaits boule au pied vont contenter la profession ? Vous croyez vraiment être dans une dynamique de donnant-donnant ? Après 30 ans de non évolution tarifaire et de dégradation organisées de nos exercices, nous ne devons rien à l’Etat.

J’entends déjà nombres de pitres, qui gravitent dans les cercles ministériels, assurantiels ou associatifs s’offusquer : « l’Etat paie leurs études », « l’Assurance maladie prend en charge une part de leurs cotisations sociales », et ….et quoi ?

L’Etat ne paie pas nos études, il économise sur le dos des plus jeunes, qui permettent aux hôpitaux de tourner à moindre coût, et assurent la survie et l’existence des centres hospitaliers généraux dans des conditions souvent indignes. Quand aux cotisations sociales, à 25 euros l’acte et 4.5 % d’augmentation tarifaire en 30 ans, le seuil de rupture est proche, le contrat est devenu un contrat léonin…

Pour évaluer la qualité d’un médecin, il faut qu’il existe, il faut qu’il soit vivant !

Vous voulez des installations : commencez par payer convenablement les médecins, pas par des subventions, pas par des aides contractuelles, simplement par le respect de ce qu’ils valent !

Du respect pour ce que sont ces femmes et ces hommes médecins qui ont fait le choix du secteur libéral, un secteur et une vie que les membres des ministères et autres tutelles ou associations grassement subventionnées ne savent pas, ne connaissent pas puisqu’en en majorité issus de l’ENA, de la fonction d’état, ou du salariat. 
Parler de recommandations, d’indicateurs de qualité, sonne comme une totale méconnaissance de l’urgence.
Si un malade est en détresse je ne vais pas le faire patienter encore et encore le temps que des experts évaluent la qualité des soins qui lui sont portés, édictent des recommandations, et mesurent leurs applications.
Pour évaluer la qualité d’un médecin, il faut qu’il existe, il faut qu’il soit vivant ! 

La France du 21è siècle ne peut se satisfaire d’un modèle sanitaire basé sur le siècle précédent.

Il y aura 25 % de médecins généralistes en moins dans les années à venir, quasi pas d’installation à Paris ces dernières années. Evaluez Madame, prenez votre temps, « recommandez », « mesurez ». Permettez-moi un conseil, pensez à ajouter deux cases à vos abaques, l’indice de colère et le seuil de rupture vous allez performer !
Mme le ministre, il est temps de passer de l’adaptation à la construction, seule une réforme systémique structurelle et profonde de notre système de santé permettra d’agir contre les déserts médicaux, la France du 21è siècle ne peut se satisfaire d’un modèle sanitaire basé sur le siècle précédent.

Recevez, Mme le ministre, l’assurance de ma très haute considération.

Dr Jérôme Marty
Président UFML Syndicat. « 

1 commentaire sur “« Ca vaut combien un médecin ? » (Lettre de l’UFML à Agnès Buzyn)”

  1. Ce courrier est valable pour certains médecins qui se déplacent, qui suivent vraiment leurs patients, mais excusez-moi, ce sont bien souvent les « petites mains », les infirmières, qui travaillent dans l’ombre et pour 3.15€ de l’acte infirmier et 2.50€ du déplacement, dont on pourrait s’inquiéter de revaloriser la situation à tous les niveaux. Franchement, ce sont elles qui sont au plus près des patients, et qui courent toute la journée pour soigner, rassurer, récupérer les ordonnances non faites ou mal faites, qui appellent les laboratoires pour connaître les résultats d’analyse, qu’elles transmettent aux médecins. Qui suivent les traitements et protocoles, dont elles signalent les problèmes aux médecins et aux pharmacies. Se pose-t-on la question de ce qui se passerait si les infirmières se mettaient en grève, seulement une journée. Certaines personnes seraient en danger de mort…
    Et pourtant comme on fait peu de cas de leur métier et de leur rémunération !!!!

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