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« En ce lendemain de résultats aux élections des URPS 2021, nous, Jeunes Médecins, sommes particulièrement tristes » (Tribune)

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Oh, nous ne sommes pas tristes pour notre score, rassurez-vous : pour notre première participation à ces élections, nous savions d’emblée ne pas pouvoir dépasser celui d’un opposant soviétique (0,2 %). Et ne vous avons d’ailleurs pas matraqués de communications coûteuses tant en termes d’affranchissement, que de papier (qui nous l’espérons sera rapidement recyclé), que de partenariats publicitaires (car oui, ça coûte cher le papier et les timbres en 2021).

Nous sommes tristes car très peu de ce qui a été vu, entendu, lu, hier et aujourd’hui ne semble répondre à nos attentes, nos ambitions, nos espérances, et alors qu’il semble toujours aussi évident que notre voix ne sera toujours pas entendue par nos chers confrères de syndicats dits « séniors », en dehors de quelques tentatives de « cautionnement jeune ». Alors qu’il semble tout aussi évident que défendre la médecine de demain sans y associer sérieusement les jeunes médecins, c’est défendre la médecine d’hier.

Le syndicalisme médical actuel ne représente plus les médecins libéraux

Nous sommes tristes car seulement 20% d’entre nous a voté à ces élections, sensées renouveler pour 5 ans nos représentants régionaux, responsables de tant de choses obscures, et selon les régions parfois assises sur des tas d’or, notre or. Et qu’il est impensable que ce même syndicalisme médical rejette la faute sur le corps électoral en les accusant de manque d’investissement temporel et de vision pour leur profession, de considération envers les possibilités qu’offre une représentation de qualité, de confiance en ses représentants. Car il en est en grande partie responsable.

Nous sommes tristes car d’une certaine façon, nous faisons également partie de ce syndicalisme médical qui, l’immense majorité du temps bénévolement, sur son (rare) temps libre, tente par conviction plus que par opportunisme personnel de faire avancer les choses dans le sens qu’il considère le bon, pour le bien commun.

Nous sommes tristes car tous ces collègues, qu’on soit d’accord ou pas avec leurs positions, leur personnalité, leur image, y consacrent une énergie certaine : défense de collègues face à des institutions pas toujours bienveillantes, réflexion collective pour aller d’une vision vers sa mise en application, commissions paritaires locales ou nationales, jusqu’aux fameuses négociations conventionnelles, tout cela demande du temps, de l’investissement et de la recherche personnelle, de l’expertise organisationnelle, légale, économique, éthique, et nous devrions pour cela théoriquement remercier les plus altruistes d’entre nous qui s’y collent.

Sauf que nous les méprisons tous, dans l’ensemble, pour des raisons qui nous sont propres, parfois diamétralement opposées, mais souvent viscérales. Et force est de constater qu’alors que, dans les textes et les faits, nos représentants syndicaux sont en position de défendre nos collègues en difficulté et d’échanger avec nos institutions, ce même syndicalisme médical ne représente plus grand-monde en 2021.

Malaise.

Les médecins sont méfiants envers leurs représentants

Dans un contexte de défiance mondiale envers le concept même de représentation, avec une chute vertigineuse de l’adhésion aux partis politiques ou aux syndicats, il est aisé de conclure que la confiance n’est plus là, à aucun niveau : le syndicalisme médical n’y déroge pas.

Et pourtant, des représentants, nous n’en manquons pas :

– élus départementaux, régionaux, nationaux au Conseil de l’Ordre,
– membres de nos sociétés savantes, des Collèges de chaque spécialité,
– élus syndicaux de tous bords, de tous niveaux départementaux à nationaux,
– et évidemment les élus aux Unions Régionales des Professionnels de Santé (URPS), dont trop peu d’entre nous connaissent le rôle et les moyens (parfois énormes, n’oubliez pas que la cotisation y est du même ordre que celle… de l’Ordre).

Tous ces mandants ont un grand pouvoir donc de grandes responsabilités, comme dirait l’autre. Et comme toutes personnes de pouvoir, on leur reproche leur inefficacité, quoi de plus normal.

Mais ce n’est pas tout, car ce qu’on leur reproche aussi, c’est :
– de ne pas être transparents, sur les rouages des décisions, les montants alloués au fonctionnement des syndicats, des Ordres, des URPS,
– de rendre l’entrée dans ce milieu complexe et nécessitant un compagnonnage, pour ne pas dire « copinage »,
– d’être en immense majorité aux mains d’hommes mûrs, pour ne pas dire en pré-retraite,
– d’attendre de nous plus d’investissement alors que nous n’avons déjà que très peu de temps à investir en nous-mêmes, nos patients et nos familles,
– de nous diviser en autant de fragments de nous-même qu’il peut en exister, rendant toute action d’autant plus illisible qu’inefficace.

Paradoxalement, aucune initiation n’est faite, lors de nos études purement médico-techniques ou autour d’une installation, sur le fonctionnement de la médecine libérale. Le rôle de l’Université est de nous former à devenir médecins, pas à nous insérer dans le maillage sanitaire local. Sincèrement, qui parmi vous avait entendu parler d’URPS, de CPL ou de CPN, avant de devoir s’y intéresser par la force des choses ? (et qui parmi vous sait ce que signifient les acronymes CPL et CPN ? 😉

D’autant qu’il est parfaitement normal et humain de douter ou d’être méfiant envers quelque chose de complexe et opaque au premier abord.

Cette confiance, personne ne pourra prétendre la restaurer d’un coup de baguette magique ou avec une phrase choc, lors d’une interview classique ou sur Twitter, et pour cause : tout le monde s’en fout désormais, et surtout on a d’autres préoccupations en tête que qu’un vague acronyme dont on ne perçoit pas l’intérêt pour soi au quotidien.

Mais alors, comment fait-on ? Laisse t’on ces machins obscurs, qui pourtant prennent régulièrement des décisions impactantes sur ces mêmes quotidiens, aux mains de gens qui ne nous représentent plus, qui s’autorisent à penser, dans leurs milieux autorisés, que puisque nous ne disons mot, nous consentons fatalement ?

À quand le prochain « machin obscur » sorti de l’imagination d’un conseiller parlementaire qui n’a réfléchi que sur des chiffres (biaisés évidemment), qui sera poussé par un directeur de l’assurance maladie (pour faire des économies sur notre dos), validé par un syndicat quelconque (sur le nombre, il y en a bien un qui dira oui) et qui viendra encore nous complexifier la vie, tout en prétendant nous la simplifier ? Combien avez-vous d’exemples de ce type en tête ? un, deux, dix ? Comment ne pas en vouloir à tous ces syndicats qui, à un moment ou à un autre de l’Histoire, ont failli à nos yeux ?

Une représentation médicale dispersée

Bref, il est urgent de changer la représentation de notre profession, au risque de confiner à l’absurde. Cette mascarade d’élections n’en est que la preuve. Je le sais d’autant plus que j’y ai participé, et de l’intérieur, ayant été sur une liste, en position non éligible certes, mais quand même.

Oh ce n’est pas une mascarade institutionnelle ou organisationnelle, loin s’en faut : on ne peut décemment rien reprocher à notre Ministère de tutelle, qui a mobilisé toutes ses compétences humaines et techniques pour garantir un scrutin parfaitement organisé, huilé, sûr et équitable.

Ce fut par contre une mascarade syndicale majeure, et principalement du fait d’une grande dispersion – tout comme dans un graphique d’article scientifique avec un joli nuage de points bordéliques, sauf qu’ici aucune tendance ne peut être dégagée de manière significative.

Car nous avions en 2021 pas moins de 8 syndicats représentés aux élections des URPS ! Soit 3 de plus que la dernière fois ! (élections dont personne ne se souvient, à part les intéressés eux-mêmes) :

– Avenir Spé, issu d’une scission douloureuse avec la CSMF, qui comme son nom l’indique, considère que la médecine générale n’est pas une spécialité,
– l’UFML-S, créé suite aux manifestations contre le Tiers payant généralisé, et ayant l’image d’agitateur à forte exposition médiatique,
– Jeunes Médecins, qui a dû aller jusqu’au Conseil d’État pour se voir accepter de concourir à ces élections pour la première fois de son histoire (mea culpa, j’y ai contribué).

Rappelons à toutes fins utiles qu’à ce jour personne ne représente réellement les médecins remplaçants, qui participent pourtant de façon majeure à la permanence des soins, à la souplesse de l’offre locale, et à la santé mentale des titulaires, et qui ne sont qu’environ 10 000, soit près de 10% des libéraux. Une paille.

Les défis de demain

Nous avons pourtant un besoin urgent de représentation, et de représentativité.

De représentation tout d’abord :

– parce que lors d’un « contrôle sécu », sur des critères qui souvent ne sont clairs ni pour nous ni pour le zélé fonctionnaire qui ne fait que son travail,
– parce que lors de Commissions Paritaires Locales (oui c’est ça une CPL !) avec la CPAM, sur des sujets concrets de facturation, de télétransmission, de règlement de ROSP ou autres forfaits et joyeusetés dont les indicateurs voire l’existence même restent hautement discutables,
– parce que pour discuter avec une ARS des décisions structurantes (pour elles) et stupides voire inapplicables (pour nous), qui nous demandent des dossiers, des dossiers, et encore des dossiers, avec des informations qu’eux-mêmes ont générées (pour vérifier si on sait faire des Ctrl+C / Ctrl+V ?),
– parce que lors des prochaines négociations conventionnelles, pour argumenter face à une UNCAM (Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie) et une UNOCAM (Union Nationale des Complémentaires Santé) qui ont déjà 3 coups d’avance sur toutes les discussions qu’ils daignent avoir avec nous, surtout pour ne pas nous vexer parce qu’ils savent qu’on n’y peut rien de toute façon.

Nous serons heureux de pouvoir compter sur des collègues expérimentés, fins connaisseurs des subtilités légales et de l’exercice de notre métier, des problématiques concrètes de notre quotidien.

De représentativité ensuite :

– parce que nos tutelles se délectent de nos divisions ! Elles peuvent ainsi faire passer tous les avenants conventionnels souhaités, sans douter du fait que sur le nombre, l’un d’entre eux viendra certainement signer en bas de page pour bénéficier d’une manne distribuée uniquement aux signataires (oui oui, vous avez bien lu, nos syndicats ont pour principales ressources les « dotations conventionnelles » et les partenariats commerciaux qu’ils sont obligés de contracter, parce que ce ne sont pas les cotisations en baisse qui leur permettront de remplir leurs missions en toute indépendance),
– parce qu’avec des syndicats aussi affaiblis, comment imaginer que nous puissions faire autrement que de faire varier un chiffre après la virgule sur un texte de 20 pages transmis la veille au soir de négociations qui vont durablement nous impacter (véridique, je l’ai vécu à plusieurs reprises) ?
– parce que ces négociations conventionnelles sont le théâtre de jeux de postures, chacun tenant consciencieusement la sienne, et que rien ne s’y décide puisque tout a lieu en petit comité, en tête à tête entre dirigeants de syndicats et hauts fonctionnaires. Ainsi ces négociations conventionnelles ne sont qu’une ratification de propositions de l’Assurance Maladie, alors que nous devrions avoir la possibilité de faire des contre-propositions en étant pris au sérieux,
– parce que l’Union fait la Force. Tout simplement.

Aujourd’hui, le syndicalisme médical apparait affaibli à l’extrême : divisions, vieilles rancœurs, opacité, procédures, intimidations … Alors que nous avons un besoin urgent de lisibilité, de transparence, de représentativité, d’inclusivité, de confiance. Au risque de disparaitre.

Et c’est la raison pour laquelle nous, Jeunes Médecins, sommes inquiets.

Parce que tout ce que nos aînés ont fait (ou pas), et dit (ou pas) ces dernières années nous a emmenés ici aujourd’hui. Vers l’impuissance.

Mais ils sont heureux, ils ont leurs sièges aux URPS ! Et franchement, on est contents pour eux aussi – enfin pour la plupart des élus qui vont certainement y faire le mieux possible leur job, même s’ils ne savent pas comment l’atteindre, cette lisibilité, cette transparence, cette confiance.

Alors qu’en vrai, ils ont perdu. Et que nous avons tous perdu.

Allez, je le rappelle ici puisqu’on s’égare : 20% de participation aux élections professionnelles. On s’étiole, on s’efface, si bien qu’on aura bientôt la transparence, toute la transparence, mais pas celle que l’on souhaite.

Que voulons-nous ?

La question mérite d’être posée, et elle n’est pas si vite répondue … Si on résume de façon simpliste : « être ou ne pas être représentés, telle est la question. »

Imaginons donc de virer une bonne fois pour toute ces syndicats qui ne nous ressemblent pas, ou de nous en désintéresser tant qu’ils n’aient plus aucune représentativité ou moyens. Nous accepterions de facto que nous ne pourrions plus nous défendre individuellement ou collectivement lors de conflits avec une collectivité locale, la Sécu ou l’Ordre ; mais surtout que les décisions importantes nous concernant soient prises sans nous (certains esprits chagrins pourraient dire que c’est déjà le cas avec le « syndicalisme faible » actuel, et je ne leur donnerai pas entièrement tort).

Ça veut également dire que nous serions dans une situation d’impuissance, de subordination avec un décideur unique, probablement institutionnel, qui aurait toute latitude pour nous indiquer comment fonctionner, comment nous organiser, comment interagir, comment exercer, comment prescrire …

… Ce qui équivaudrait à du salariat, non ?

Mais… n’est-ce pas en grande partie pour éviter cette ingérence dans nos pratiques, afin de garder une indépendance que nous estimons encore garante d’une bonne qualité de service à la population, qu’un grand nombre d’entre nous a fait le choix d’un exercice libéral ? Attention je ne dis pas là qu’il est honteux d’être salarié en ville et que les médecins de centres de santé n’ont pas d’indépendance de prescription ; simplement ils n’ont pas cette indépendance d’organisation propre au libéral, et in fine sont soumis aux règles de leur employeur, pouvant être plus ou moins contraignantes. Et ne soyons pas angélistes, exercer en salariat c’est aussi prendre le risque qu’un jour, un petit chef nous impose des conditions de travail intolérables (ce qui est déjà arrivé autour de moi pour des médecins d’un centre de santé « idéal » devenant cauchemardesque). On fait quoi dans ces cas-là d’ailleurs ? Soit on se tire ailleurs, soit on se regroupe pour être plus forts, et on se … syndique.

Bref. En poussant le raisonnement jusqu’au bout, on pourrait dire que ne pas s’intéresser à la structuration et la représentation du monde libéral en revient à saborder l’existence même de ce mode d’exercice, notre mode d’exercice.

Je repose donc ici la question : que voulons-nous ?

Continuer à exercer en libéral, ou nous orienter vers un salariat par l’Assurance Maladie ?

Soyons honnêtes, cela ne serait pas honteux, et je suis certain que nombre d’entre nous ne seraient pas si contre ou n’en seraient pas fatalement perdants. Mais gardons cette question en tête : Que. Voulons. Nous.

Une solution possible : nous rassembler.

Oui, nous rassembler. Même un peu. Et ne dites pas que c’est une utopie, cela a déjà existé par le passé. Et oui, je sais aussi qu’il est un peu paradoxal qu’un syndicaliste, qui vient de dire que le syndicalisme est moribond et qu’il en est en partie responsable, vous appelle à vous réinteresser au syndicalisme. Mais je ne vois pas d’autre solution, car au final, l’expérience prouve que même un mouvement parti de la base et auto-géré doit se structurer s’il veut un jour pouvoir peser dans les discussions (et oui, je pense à l’UFML en écrivant cela, qui avait dit que jamais ce mouvement ne deviendrait un syndicat via son porte-parole, devenu depuis tonitruant président d’un syndicat nommé UFML-S).

Mais aussi bizarre que cela puisse paraître aux yeux de certains, si nous ne sommes pas capables de nous unir pour lutter contre les problématiques d’accès aux soins des plus fragiles ; contre des Big Pharma qui réfléchissent R&D et mise sur le marché en termes uniquement économiques ; contre des assureurs qui parfois brisent des vies en s’appuyant sur nous ; contre des GAFAM et autres licornes qui distillent joyeusement leur comm’ hypocrite sans aucun contre-pouvoir ; voire parfois contre nous-même et certains comportements discriminatoires de collègues pas toujours bienveillants, ou distillant des médecines qui leur sont propres.

Tentons au moins d’arrêter de nous diviser et unissons-nous, pour faire entendre notre voix, une voix forte, puissante, sincère ; une voix synthétisant toutes nos aspirations, idéaux, espoirs ; une voix qui fait table rase de ce passé divisé pour se concentrer sur un avenir collectif ; une voix qui transcende les générations, et attentive à celle qui va devoir résoudre la difficile équation de « plus de soins pour moins de soignants » ; une voix ouverte à toutes les autres professions de santé qui ne déméritent pas et ne cherchent globalement pas à nous bouffer mais être complémentaires ; une voix qui puisse être entendue par tous nos partenaires et antagonistes ; une voix qui emmène tout le monde, et n’en laisse aucun sur le bord de la route.

La voix des 80 %.

Un Jeune Médecin.

Contact presse
Emanuel Loeb
Président Jeunes Médecins
president@jeunesmedecins.fr

1 commentaire sur “« En ce lendemain de résultats aux élections des URPS 2021, nous, Jeunes Médecins, sommes particulièrement tristes » (Tribune)”

  1. Très long texte pour finalement ne rien dire
    Insultant pour les médecins qui consacrent autant de temps à défendre notre exercice

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