Le ministre de la Santé avait pourtant garanti aux syndicats de médecins libéraux qui l’avaient rencontré en septembre que, contrairement aux années précédentes, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 ne comprendrait pas de mesures remettant en cause les missions des médecins par des transferts de tâches et de compétences à d’autres professionnels de santé.
Cette décision avait du sens car, au moment où, pour améliorer la réponse aux demandes de soins de la population, les professionnels de santé libéraux s’organisent et se coordonnent sur le territoire dans des équipes de soins primaires, des équipes de soins spécialisés, des maisons de santé pluriprofessionnels et des communautés professionnels territoriales de santé (CPTS), l’heure n’était pas à laisser s’installer la défiance entre ces professionnels par une modification des contours de leur métier.
Il devait s’agir d’une promesse de Gascon, car des amendements votés à l’Assemblée nationale, sans concertation avec les médecins concernés, déstructurent les parcours existants et font courir à la population d’importants risques de diminution de la qualité des soins.
Ainsi, un amendement sur la filière visuelle permet d’exclure l’ophtalmologue de la filière visuelle, au profit des orthoptistes.
Deux autres amendements permettront l’accès direct aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes sans prescription médicale.
L’amendement caricatural est celui sur les infirmiers en pratique avancée (IPA) qui permettra, dans trois régions expérimentales, à ces professionnels d’effectuer des primoprescriptions à la place des médecins, et ceci au-delà de ce que leur permet la réglementation actuelle.
Les IPA ont vocation à devenir des professionnels de santé indispensables à la prise en charge, entre autres, des patients atteints de pathologies chroniques stabilisés dans les territoires à faible démographie médicale, permettant ainsi de libérer du temps médical. Les médecins généralistes pourront ainsi prendre en charge des patients sans médecin traitant ou, grâce à leur expertise médicale, consacrer plus de temps à des patients présentant des situations complexes.
Déjà de nombreuses maisons de santé pluriprofessionnelles et des centres de santé ont salarié des IPA ou envisagent de le faire pour la plus grande satisfaction des professionnels, médecins généralistes compris, et des patients.
Cependant, les IPA libéraux peinent à trouver leur place dans notre système de santé, victimes de la défiance des médecins généralistes de se voir marginaliser, voire court-circuités, dans le suivi des patients dont ils sont médecins traitants.
Les parlementaires pensent-ils qu’un tel amendement va améliorer cette situation ?
Bien sûr que non et, dans les trois régions qui seront choisies pour mener l’expérimentation définie par cet amendement, on peut être assuré que les médecins généralistes refuseront de travailler avec des IPA libéraux.
Il est regrettable de voir des parlementaires, tels des inventeurs farfelus du Concours Lépine, décider ainsi, sans concertation avec les médecins, de déstructurer l’organisation de notre système de santé alors que progressivement se mettent en place, au travers de nouvelles organisations territoriales libérales, une coordination et une coopération entre les différentes professions de santé.
Les inquiétudes des médecins me semblent tout à fait compréhensibles. Le manque de concertation avec eux l’est beaucoup moins.
Néanmoins, dans le contexte démographique actuel en termes de médecins traitants, l’inertie n’est-elle pas un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre plus longtemps ? La redistribution de quelques cartes en direction de professionnels de santé non médecins n’est-elle pas une piste que le Parlement peut explorer ? Après tout, les parlementaires n’ont-ils pas reçu de l’élection la légitimité d’organiser et aménager le territoire ?