Intervention de Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, lors d’une conférence de presse donnée à Rennes le Vendredi 15 janvier 2016.
« Mesdames, Messieurs,
Un accident d’une exceptionnelle gravité s’est produit dans le cadre d’un essai clinique de Phase 1 réalisé à Rennes. 6 personnes ont été hospitalisées au CHU de Rennes depuis dimanche dernier. Ce sont tous des hommes, âgés de 28 à 49 ans. A l’heure à laquelle je vous parle, l’un d’entre eux est en état critique, qualifié par les médecins de mort cérébrale. Les 5 autres personnes sont hospitalisées en neurologie au CHU, deux d’entre elles sont dans une situation sérieuse. Avec un degré de gravité différent selon les cas, ces patients présentent des manifestations neurologiques de même type.
Je veux d’abord adresser mes pensées à ces cinq personnes, à leurs proches et leur famille. Et je veux dire ma confiance et mon soutien aux professionnels de santé du CHU de Rennes qui les prennent en charge actuellement.
Je viens de rencontrer les victimes de cet accident d’essai clinique, ainsi que leur famille. J’ai voulu le faire pour leur exprimer d’abord tout mon soutien ainsi que mon engagement absolu à faire toute la lumière sur ce qui s’est passé. Le choc est d’autant plus grand que des accidents d’une telle gravité ne paraissent pas être documentés. A ce moment, je n’ai connaissance d’aucun évènement comparable. Ce qui s’est passé est inédit et appelle de notre part la plus grande vigilance. Je rappelle que ce sont des personnes saines qui sont volontaires pour les essais cliniques de Phase 1. Ils ne pouvaient pas s’attendre – leurs familles encore moins – à ce que leur santé soit en danger. Les familles sont évidemment effondrées. Elles posent des questions, je m’engage à ce que toutes les réponses leur soient apportées. Dans les circonstances tragiques qu’elles affrontent, elles font preuve d’une dignité à laquelle je veux rendre hommage. Je souhaite maintenant vous apporter les informations disponibles à cet instant.
1/ Je reviendrai d’abord sur la chronologie des événements de manière très factuelle.
Le laboratoire BIOTRIAL a déposé le 30 avril 2015 un dossier d’essai clinique de Phase 1 pour une nouvelle molécule développée par le laboratoire BIAL. Cette molécule vise à traiter les troubles de l’humeur et de l’anxiété, et les troubles moteurs liés à des maladies neurodégénératives. A ce stade, les indications d’un médicament restent très générales. Contrairement à ce que j’ai pu lire, ce médicament ne contient pas de cannabis, n’est pas un dérivé du cannabis. Il agit sur les systèmes naturels qui permettent de lutter contre la douleur, c’est ce qu’on appelle le système endocannabinoïde. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a autorisé l’essai clinique le 26 juin 2015, conformément à la procédure en vigueur. L’essai a démarré le 9 juillet 2015 dans les locaux de BIOTRIAL, qui est un établissement privé autorisé, spécialisé dans la réalisation d’essais cliniques.
Qu’est ce qu’un essai clinique de Phase 1 ? C’est la première administration du médicament chez l’homme pour évaluer la tolérance et les caractéristiques d’une molécule. Cette phase intervient nécessairement après la validation des essais menés sur des animaux. En l’espèce, des essais avaient été menés sur différentes espèces animales dont des chimpanzés. Cette procédure est très encadrée, elle répond à des règles strictes fixées par les articles L 1121-13 et R. 1121-11 à R.1121-16 du code de la santé publique :
– L’essai doit se dérouler dans des lieux autorisés après inspection par les Agences régionales de santé.
– Il doit faire l’objet d’une autorisation préalable de l’ANSM et de l’avis d’un Comité de protection des personnes, composé de bénévoles de la société civile et de professions de santé, qui évaluent la nature éthique de la conduite de l’essai chez l’homme.
– Un fichier national recense les volontaires sains qui peuvent participer à ces essais.
L’essai qui est aujourd’hui en cause prévoyait d’inclure 128 volontaires sains, hommes et femmes, âgés de 18 à 55 ans. A ce jour, 90 personnes se sont vu administrer cette molécule à des doses variables. D’autres ont reçu un placebo. Cet essai devait évaluer les effets du médicament :
– D’abord en doses uniques, c’est-à-dire administré en une fois
– Ensuite en doses multiples, c’est-à-dire la prise répétée du comprimé sur
plusieurs jours
– Et enfin dans le cadre d’une prise concomitante au repas.
Ce sont des personnes ayant pris de manière répétée le médicament qui sont victimes des évènements indésirables graves survenus.
Selon les informations qui m’ont été transmises, ces personnes auraient commencé à prendre le médicament le jeudi 7 janvier. Des premiers symptômes seraient apparus
Seul le prononcé fait foi
le dimanche 10 janvier sur une première personne. Les 5 autres ont été hospitalisées progressivement depuis.
Le laboratoire a indiqué avoir interrompu cet essai le lundi 11 janvier.
Voilà pour la chronologie des faits telle qu’elle peut être établie à cette heure.
2/ Dès que j’ai eu connaissance de l’accident, j’ai engagé les premières actions, indépendamment des procédures judiciaires engagées par le parquet de Rennes et le pôle de Santé publique du parquet de Paris.
L’ANSM a, sans délai, lancé une procédure d’inspection technique sur le site, visant notamment à vérifier le respect des procédures réglementaires et des bonnes pratiques cliniques. La directrice adjointe de l’inspection de cette agence et deux de ses inspecteurs sont d’ores et déjà sur place.
J’ai par ailleurs demandé à ce que soient identifiés et contactés sans délai tous les volontaires ayant été exposés à ce produit dans le cadre de cet essai depuis le 9 juillet 2015. Il appartient à l’Agence régionale de Santé de Bretagne de s’assurer que tous les volontaires ayant participé à cet essai fassent l’objet d’une information précise, personnalisée et d’un examen médical approprié au CHU de Rennes. Ils doivent être personnellement contactés et un numéro de téléphone est mis à leur disposition dans le cadre de l’hôpital : il s’agit du 02 99 28 24 47. Je veux dire de façon très claire à l’attention de nos concitoyens qu’aucun médicament commercialisé n’est en cause.
Enfin, j’ai immédiatement saisi l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour qu’elle diligente une inspection sur le site. Il s’agira de vérifier le respect de la réglementation en vigueur :
– Sur la réalisation des essais cliniques
– Sur le lieu de cette réalisation
– Sur le respect des règles de conduite d’une étude, s’agissant notamment du
recrutement des volontaires, de l’administration du produit, du signalement des évènements indésirables graves et de l’information.
Les inspecteurs de l’IGAS seront sur place dès demain.
J’ai demandé à ce qu’une première note d’étape me soit remise avant la fin du mois, et que le rapport final soit rendu avant la fin du mois de mars. Toutes les responsabilités éventuelles devront être établies.
Je vous remercie. »
(Seul le prononcé fait foi)