La baisse du nombre de lits d’hospitalisations et le virage ambulatoire de la psychiatrie se sont accompagnés d’un nombre croissant de maladies mentales chez les personnes vivant sans domicile fixe. Ce phénomène s’est particulièrement renforcé au cours des deux dernières décennies. Les pouvoirs publics tentent de trouver des solutions pour endiguer ce problème et réintégrer ces personnes dans le système de soin, puis sur la voie de la réinsertion.
Une étude publiée le 23 août 2018 par une équipe marseillaise dans Progress in Neuropsychopharmacology & Biological Psychiatry est issue du projet “Un chez Soi d’abord”, visant à offrir à des personnes sans domicile fixe un logement pour améliorer la qualité des soins psychiatriques. Cette étude a inclus plus de 700 SDF souffrant de schizophrénie ou de troubles bipolaires (dont 70% avec schizophrénie et 30% avec troubles bipolaires, âgés en moyenne de 38 ans et composés de 83% d’hommes).
http://fr.ap-hm.fr/sites/default/files/files/10_1016@j_pnpbp_2018_08_024.pdf
9 SDF sur 10 ne reçoivent pas un traitement adapté
L’objectif était d’étudier si les patients SDF recevaient un traitement psychiatrique médicamenteux adapté à leur pathologie. Cette étude a été conduite dans quatre grandes villes : Marseille, Paris, Lille et Toulouse.
Les résultats sont édifiants : près de 9 patients sur 10 ne reçoivent pas un traitement adapté.
En particulier, plus de la moitié ne recevaient pas un traitement de fond approprié (antipsychotiques pour la schizophrénie ou régulateur d’humeur pour le trouble bipolaire). Près de la moitié (48%) des patients avaient une dépression non traitée, qu’ils aient une schizophrénie ou un trouble bipolaire. 46% recevaient des anxiolytiques au long cours et 15% des hypnotiques au long cours, ce qui n’est pas recommandé (à cause des risques de dépendance, de chute, de désinhibition et d’altération des fonctions cognitives).
Ces prescriptions inappropriées étaient plus fréquentes chez les patients bipolaires, chez les patients dépressifs et chez les patients qui ne souhaitaient pas recevoir d’aide. Les patients présentant une personnalité psychopathique/antisociale (avec profil de manipulation et/ou d’agressivité) avaient moins de chances d’être traités pour leur dépression, de même que les patients présentant un profil toxicomaniaque.
Un grand défi de santé publique
Les auteurs de cette étude ont conclu que le traitement des troubles mentaux demeure un grand défi dans la population SDF. Certains psychiatres pourraient éviter de prescrire des antidépresseurs soit par un défaut de dépistage (la dépression pouvant être masquée par la consommation d’alcool, de drogues ou l’agressivité) soit par une volonté de ne pas risquer d’aggraver la pathologie (risque de virage maniaque chez les patients bipolaires, un effet secondaire des antidépresseurs).
Toutefois, l’absence de traitement de fond demeure un problème souvent lié au refus du patient de se traiter, et la loi n’autorise pas les psychiatres à administrer un traitement sans le consentement du patient, en dehors du contexte de l’urgence. De nouvelles réflexions sont nécessaires pour améliorer le soin des populations SDF présentant des troubles mentaux. Le programme « Un chez soi d’abord » pourra faire partie des nouvelles pistes pour améliorer l’adhésion de ces populations aux soins. Il a déjà fait ses preuves aux États-Unis et au Canada et les résultats Français seront bientôt publiés.
- Fond, A. Tinland, M. Boucekine, V. Girard, S. Loubière, P. Auquier, L. Boyer, French Housing First Study Group
Prescription of potentially inappropriate psychotropic drugs in homeless people with schizophrenia and bipolar disorders. Results from the French Housing First (FHF) program. Pnp (2018)
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