L’INCa a rendu public son rapport sur la situation du cancer en France en 2012 : cette publication est très attendue par l’ensemble des médecins français en raison d’une part de sa hauteur de vue (il couvre tous les aspects de la cancérologie), et d’autre part de son impact sur la pratique médicale au quotidien.
Les cancers de la femme (158 500 nouveaux cas annuels responsables de 63 000 décès par an) restent fréquents, et sont dominés par les cancers du sein et colorectaux qui bénéficient d’un dépistage organisé. Le cancer du poumon est un réel problème de Santé Publique avec 8 100 décès annuels talonnant le cancer du sein et le cancer colorectal (8 300 décès annuels), alors que sa prévention est simple pour la plupart des patients (l’arrêt du tabac…).
En gynécologie, deux cancers s’offrent au dépistage et à la prévention : le cancer du col utérin et le cancer du sein.
Pour ce qui est du cancer du col utérin, il s’agit d’un cancer viro-induit (human papillomavirus et en particulier les génotypes à haut risque 16 et 18) dont l’histoire naturelle passe par des états précancéreux dépistés par le frottis du col utérin (dépistage individuel à partir de 25 ans) et dont l’évolution est assez lente. Ceci explique la diminution constante des cas de cancers incidents (estimés à 2 810 nouveaux cas annuels) et une mortalité qualifiée de faible avec 1 000 décès annuels. Les décès sont observés dans les formes évoluées de la maladie, soit chez des patientes jeunes du fait d’une évolution rapide se prêtant mal au dépistage (cancers d’intervalle), soit chez des patientes plus âgées non dépistées. Le rapport pointe les faiblesses du dépistage, qui en France est non organisé et de ce fait 40 % des françaises ne seront pas dépistées. Il fait des propositions concrètes: organiser le dépistage par frottis sur l’ensemble du territoire à l’instar du sein et du colon rectum en centrant celui-ci sur les médecins généralistes, proposer des modalités nouvelles du dépistage (dépistage des patientes porteuses des human papillomavirus à risque, notamment par auto-prélèvement), et améliorer la prévention vaccinale vis-à-vis des génotypes HPV 16 et 18 en renforçant la diffusion du vaccin chez les jeunes filles (désormais à partir de 11 ans) et le respect du schéma vaccinal qui comprend 3 doses.
Le cancer du sein est LE cancer emblématique de la Femme : son incidence est telle (53 000 nouveaux cas par an, soit à lui seul un tiers des cancers féminins !) qu’il est vécu comme un fléau par la population féminine. Il s’agit actuellement en France de la première cause de décès par cancer, notamment chez la femme jeune.
En réalité le rapport de l’INCa apporte une touche d’optimisme :
le taux d’incidence se stabilise après la forte croissance notée depuis les années 1980 : plusieurs facteurs interviennent en particulier les facteurs liés à la maternité (nombre d’enfants choisi, allaitement maternel court, etc.) qui ont beaucoup changé à partir des années 1960 et n’ont guère évolué depuis les années 1980, plus que les facteurs hormonaux tels les traitements de la ménopause, dont le rôle est toujours sujet à controverses ; et surtout une mortalité en baisse de 13 % entre 1980 et 2010 liée au dépistage mammographique (augmentation des cancers découverts à un stade précoce) et aux progrès thérapeutiques majeurs du début des années 2000. Les taux de survie relative observés en France se situent dans des valeurs élevées par rapport aux autres pays d’Europe.
Le dépistage mammographique entraîne une réduction de mortalité de 10 % selon une étude américaine récente [1]) corroborée par 2 études publiées en 2012 : une méta-analyse anglaise [2] estimant à 11 % la réduction de mortalité par cancer du sein chez les femmes dépistées et une étude basée sur le registre américain du cancer entre 1976 et 2008 [3] (soit avant et après le dépistage mammographique chez les femmes de 40 ans et plus) où le nombre de cancers diagnostiqués à un stade précoce a été multiplié par 2 et où la diminution observée des stades évolués a été de 8 %. Toutefois, ces bénéfices sont à rapprocher d’un surdiagnostic de lésions qui n’auraient probablement pas évolué vers un cancer cliniquement décelable : 10 % des cas pour les britanniques et 31 % des cas pour les américains. Reste qu’aujourd’hui les médecins ne sont pas capables de distinguer avec certitude face à un cas particulier son propre risque évolutif.
Enfin, il est important de rappeler que les femmes les plus jeunes (moins de 45 ans) ont un moins bon pronostic que les autres (tumeurs plus agressives, diagnostic à un stade plus évolué) et que le dépistage classique dans cette frange jeune de la population ne semble pas apporter de bénéfice net hormis sans doute en cas de risque génétique.
Rappel sur les spécificités du dépistage organisé du cancer du sein en France
L’examen clinique systématique par les médecins radiologues, au moment du dépistage, fait partie des exigences que se sont fixées les radiologues pour la réalisation de la mammographie. Exigences très élevées qui bénéficient aussi bien au dépistage organisé qu’au dépistage individuel.
En effet, pour avoir le droit de pratiquer cet examen, ils doivent:
avoir suivi une formation spécifique ;
réaliser au moins 500 mammographies par an ;
être engagés dans le programme de dépistage organisé.
Dans ce cadre, les radiologues « premiers lecteurs » effectuent au moins 500 mammographies par an, tandis que les radiologues assurant la deuxième lecture s’engagent à relire au moins 2000 mammographies supplémentaires par an.
Il faut cependant souligner que les actions sont certainement insuffisantes vis à vis des femmes à risque élevé de cancer.
Certaines femmes ont un risque élevé (image anormale lors de la dernière mammographie, antécédent personnel de cancer du sein, néoplasie lobulaire in situ, hyperplasie épithéliale atypique) ou très élevé de cancer du sein (prédisposition génétique au cancer du sein).
Elles n’entrent pas dans le cadre du dépistage organisé car elles font l’objet d’une surveillance personnalisée.
Les femmes à très haut risque doivent bénéficier :
d’une surveillance annuelle associant un examen clinique minutieux, l’IRM mammaire et l’imagerie standard (mammographie ± échographie) ;
l’IRM, à réaliser en premier, est la technique la plus sensible pour détecter une anomalie chez ces femmes ;
si elle est normale ou bénigne, une mammographie complète le bilan pour rechercher des calcifications suspectes (risque de faux négatifs de l’IRM dans les cancers in situ) ;
ces patientes doivent être suivies par des équipes ou des centres spécialisés en imagerie du sein.
D’autres aspects positifs sont soulignés par ce rapport : une meilleure organisation des soins rendus plus efficaces sur l’ensemble du territoire (création de filières cancérologiques, prise en charge élargie en particulier des plus démunis), une prise de conscience des difficultés de l’après cancer tant au niveau individuel que social, un accent mis sur l’effort de recherche.
Jean Levêque, service de Gynécologie – CHU de Rennes – Département d’Oncologie Chirurgicale CRLCC de Rennes, jean.leveque@chu-rennes.fr
Philippe Descamps, service de Gynécologie Obstétrique – Pôle Femme-Mère-Enfant – CHU d’Angers, PhDescamps@chu-angers.fr
Laurent Verzaux, radiologue – Le Havre, laurent.verzaux@wanadoo.fr
Références
[1] Kalager M, Zelen M, Langmark F, Adami HO. Effect of screening mammography on breast-cancer mortality in Norway. The New England journal of medicine 2010;363: 1203-10.
[2] Marmot M. The benefits and harms of breast cancer screening: an independent review. Lancet 2012;380: 1778-86.
[3] Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mammography on breast-cancer incidence. The New England journal of medicine 2012;367: 1998-2005.