Veiller à ce que les personnes en situation de grande précarité et présentant des troubles psychiques aient accès à un parcours de santé, d’insertion sociale et de vie citoyenne : c’est tout l’objet des recommandations de bonnes pratiques publiées le 18 janvier par la Haute Autorité de santé. La HAS souligne l’importance d’aller à la rencontre de ces personnes sur leurs lieux de vie, de leur offrir un accompagnement global et d’intervenir le plus précocement possible.
Les recommandations s’adressent à la fois aux équipes intervenant auprès des personnes concernées et aux pouvoirs publics appelés à les soutenir en organisant la coordination des acteurs (santé, social, logement etc.) sur les territoires et en offrant des réponses à la hauteur des besoins.
Les populations en situation de grande précarité augmentent continûment depuis 20 ans en France ; d’après la Fondation Abbé Pierre, 330 000[1] personnes seraient sans domicile sur notre territoire. Concernant la prévalence des troubles psychiques dans cette population, une étude parisienne[2] l’estime à environ 30% si l’on ne tient compte que des troubles psychiatriques sévères comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. Selon les données internationales[3], cette proportion s’élèverait à plus de 75% si on inclut d’autres troubles comme la dépression, l’anxiété ou le trouble de stress post-traumatique. Les personnes concernées qui cumulent ses difficultés (vulnérabilités sociales et psychiques, problèmes somatiques, situations administratives complexes), rencontrent de multiples obstacles pour accéder aux soins e t aux dispositifs sociaux et sont souvent stigmatisées.
Malgré l’existence de dispositifs d’aide et les diverses initiatives mises en œuvre aux niveaux national et local, les réponses apportées restent encore insuffisantes. Face à ce constat, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a saisi la Haute Autorité de santé pour qu’elle définisse les bonnes pratiques à mettre en œuvre par l’ensemble des acteurs intervenant auprès des personnes en situation de grande précarité et porteuses de troubles psychiques afin de proposer à ces dernières un accompagnement sanitaire et social de qualité.
Les travaux de la HAS montrent que l’approche intégrant l’accès au logement ou, du moins, à un « chez-soi », ainsi qu’un accompagnement médical et social est la plus efficace pour améliorer les situations de ces personnes.
Les auteurs insistent également sur la nécessité de s’inscrire auprès d’elles dans une démarche « d’aller vers » et de « rester avec », d’intervenir le plus précocement possible notamment en assurant l’effectivité de l’en semble de leurs droits (humains et sociaux) et en luttant contre les discriminations. Les recommandations invitent les pouvoirs publics à soutenir les professionnels et à apporter une réponse coordonnée et à la hauteur des besoins.
La HAS assortit ses recommandations de 8 fiches outils :
- 5 fiches précisent les actions de catégories spécifiques d’intervenants : équipes de psychiatrie, équipes sociales, équipes de soins primaires (médecins généralistes, infirmiers, sage-femmes, pharmaciens, etc), urgences et services d’hospitalisation, et administrations ;
- 3 fiches développent des situations particulières : hospitalisation en psychiatrie, prévention et interventions précoces et recours aux pairs-aidants.
Repérer les vulnérabilités psychosociales et anticiper les difficultés
Les personnes cumulant une situation de grande précarité et des troubles psychiques sont souvent prises en charge alors que leur situation est déjà très dégradée et complexe. Face à ce constat, la HAS recommande de repérer les vulnérabilités psychosociales chez les personnes ayant un logement afin d’en éviter la perte. Impayés de loyer, incurie, troubles du voisinage, personnes « disparaissant des radars » sont autant de signaux d’alerte.
La HAS recommande aux médecins généralistes et acteurs de soins primaires d’évaluer la situation sociale de leurs patients (droits sociaux, accès au logement, sources de revenu, etc.), et aux travailleurs sociaux d’aborder la question des besoins d’aide en santé mentale face à une personne manifestement en détresse psychologique.
La HAS préconise par ailleurs d’être particulièrement vigilant au fait que les personnes vulnérables accèdent de manière précoce et effective à l’ensemble de leurs droits.
Accès à un « chez soi » et accompagnement, conditions de la qualité des interventions
La HAS recommande de mettre en place des solutions intégrées combinant l’accès à un « chez soi » (logement ou solution d’hébergement digne) et un accompagnement adapté (clinique et social). Un éventail de solutions pérennes adaptées aux souhaits et besoins des personnes doit être proposé. Le programme « Un chez soi d’abord » offre, par exemple, un accès direct à un logement aux personnes ayant connu l’errance et présentant des troubles psychiques, tandis que les résidences accueil leur proposent des logements dans un cadre de vie semi-collectif.
L’accompagnement se met en place au moyen de contacts réguliers avec des professionnels et des acteurs pluridisciplinaires travaillant en coordination : secteur psychiatrique, services sociaux, professionnels de soins primaires, acteurs du logement, pairs-aidants. Le sujet de la pair-aidance en général fera d’ailleurs l’objet d’une recommandation de la HAS en 2024.
L’objectif de cet accompagnement est d’aider les personnes à se rétablir et à développer un réseau de professionnels référents, mais aussi de les encourager à tisser des liens sociaux et à avoir des projets personnels.
« Aller vers » l’autre et « rester avec »
De la qualité des premiers contacts dépend la réussite de l’accompagnement. En pratique, la HAS recommande à tous les professionnels impliqués d’« aller vers » les personnes sur leur lieu de vie, de prendre le temps nécessaire à la rencontre, de se montrer disponibles, de réitérer la proposition d’aide en cas de refus (le « rester avec ») – sans pour autant imposer – et d’éviter au maximum les temps d’attente.
L’« aller vers » n’est pas une démarche limitée aux équipes spécialisées comme les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP), c’est une posture professionnelle d’ouverture et d’accueil inconditionnel de la personne « là où elle en est ».
- Pour les services administratifs, il convient de faciliter les procédures administratives (rappel de rendez-vous, désignation de personnes référentes dans les lieux d’accueil ou de soins, etc.).
- Pour les services sociaux, cela signifie assurer un accueil inconditionnel en limitant les prérequis à l’accès aux prestations sociales (arrêt des consommations par exemple).
- Les secteurs de psychiatrie sont invités à nouer des partenariats avec les structures et acteurs sociaux pour proposer par exemple des consultations psychiatriques avancées ou un accompagnement des crises.
- Les services d’urgence et hospitaliers peuvent être soutenus par des équipes spécialisées type EMPP et les équipes des permanences d’accès aux soins de santé (PASS).
- Quant aux acteurs de soins primaires, en particulier ceux qui sont organisés en structures d’exercice coordonné, il est bénéfique qu’ils adaptent leur organisation (plages horaires pour les consultations sans rendez-vous, consultations longues, médiateurs en santé et partenariats avec les acteurs sociaux, etc.).
Enfin, la HAS alerte sur les risques de rupture, en particulier pendant les périodes de transition (sortie d’hospitalisation, accès au logement…), et incite à anticiper ces moments en proposant un accompagnement intensif.
Construire une réponse publique coordonnée à la hauteur des besoins
L’accompagnement des personnes présentant des troubles psychiques et en situation de précarité ainsi que la prévention des ruptures de vie qui conduisent à ces situations requièrent, en outre, une approche transdisciplinaire et coordonnée, privilégiant le travail en réseau, l’échange et le partage d’informations. La HAS encourage les pouvoirs publics à soutenir au niveau national et territorial, la mise en place de réponses globales et coordonnées en évaluant les besoins (sociaux et de santé) des personnes en situation de grande précarité, en prévoyant la généralisation et le financement pérenne des dispositifs coordonnés pertinents, ou encore en favorisant l’accès aux droits par la simplification administrative.
La mise en œuvre effective de l’ensemble de ces recommandations suppose également que les professionnels disposent de moyens et d’un soutien à la hauteur des besoins de terrain, dans un contexte marqué par des tensions particulières sur les métiers du travail social et du soin.
Le risque d’épuisement professionnel étant majeur face à ces situations, la HAS appelle enfin à développer les dispositifs de soutien et de formation pour les professionnels.
Notes :
[1] Fondation Abbé Pierre, 2022
[2] Enquête Samenta, 2010
[3] – Hossain et al. Prevalence of mental disorders among people who are homeless : An umbrella review. Int J Soc Psychiatry, 2020
– Gutwinski S, et al. The prevalence of mental disorders among homeless people in high-income countries: An updated systematic review and meta-regression analysis. PLoS Med, 2021
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